Les caractères de la politique (1) : l’indigné revendicatif

Publié le 21 août 2011 par Variae

Il ne comprend pas, vraiment pas, ce qui se passe, Monsieur Truc. Il a écrit il y a maintenant trois semaines à xxx, candidat à la magistrature suprême, pour lui proposer de venir parler devant l’Université du Temps Libre de sa région. Les heures, les jours, les semaines sont passées sans réponse. Oh, on a bien accusé réception de son email, mais depuis, aucun signe ! C’est incompréhensible, c’est inadmissible.

Alors il a oublié sa réserve naturelle, Monsieur Truc, et il s’est permis d’aller manifester son étonnement sur la place publique. Il a commencé sagement, sur un forum de soutien au candidat xxx. Eh bien quoi ! xxx ne veut-il pas être élu ? Ou alors, faut-il comprendre qu’il n’a que mépris pour les sociétaires de l’Université du Temps Libre, parce qu’elle a le malheur d’être en province, à l’écart des lignes TGV et de ne pas prêcher la pensée unique ? Les supporters de xxx lui ont répondu, sur ce forum, ils ont même tenté maladroitement de la faire patienter, car xxx est assailli de demandes semblables. Mais il n’est pas tombé de la dernière pluie, monsieur Truc. Alors il est monté en gamme. Il a copié sa supplique dans les commentaires du blog de xxx. Il a été censuré ! (bon, en fait il y avait juste un délai de modération pour que son commentaire apparaisse, mais c’est déjà louche). Il l’a copiée-collée ensuite dans les commentaires des articles de Libération, du NouvelObs, du Figaro sur xxx, il l’a diffusée sur les réseaux sociaux. On ne le fera pas taire comme ça ! Sans compter que xxx est récidiviste. Oui, Monsieur Truc a de la mémoire, il se souvient bien de ce long courrier manuscrit qu’il lui avait adressé, au début de la crise financière, ce courrier qui en 25 pages denses résumait assez brillamment sa lecture des événements, et donnait les solutions d’un honnête citoyen pour réguler l’économie et mettre au pas les banquiers. Ces solutions qui avaient été honteusement censurées sur le forum de Désirs d’Avenir, alors qu’il avait simplement entrepris de les copier-coller dans chaque fil de discussion pour les rendre accessible au plus grand nombre ! Eh bien déjà, ce courrier, xxx ne lui avait répondu que par une formule de politesse, sans se prononcer sur les 57 propositions qu’il présentait !

Monsieur Truc ne va pas s’arrêter là. Il va avertir une bonne amie à lui, militante du parti de xxx, qui va, le ton grave et le front soucieux, expliquer au sein du comité local de soutien à la candidature de xxx que l’équipe de campagne de ce dernier dysfonctionne gravement. Dans une campagne il ne faut négliger personne. Que fera-t-on si Monsieur Truc se plaint du peu de considération témoigné par xxx, dans la newsletter de l’Université du Temps Libre, très lue dans la région, ou pire lors d’une réunion plénière de cette association ?

Monsieur Truc va désormais l’expliquer, fataliste, indigné, à ses amis. Oui, il y a bien une crise du politique très grave, comme Edwy Plenel l’a démontré dans son dernier éditorial. Les élites oligarchiques écoutent plus les patrons du Siècle que le peuple. Peu importe son cas particulier : c’est un symptôme du dysfonctionnement de la démocratie tout entière. Et si vous ne le croyez pas, vous n’avez qu’à écouter le récit de sa cousine, Madame Chose. Madame Chose ? Elle s’occupe d’une association très impliquée dans la médiation socio-culturelle de proximité. Par la co-production d’installations vidéo avec les habitants de son quartier, elle interroge les normes du quotidien et met en place des logiques de résistance contre les dominants. Il est incompréhensible que ce travail de terrain, généreux, citoyen, engagé, ne bénéficie pas encore de l’aide des collectivités locales. Et pourtant Madame le Maire, qui justement soutient la candidature de xxx à la présidentielle, lui avait dit, l’an dernier, qu’elle allait voir ce qu’elle pouvait éventuellement faire pour examiner son dossier. Depuis, plus de nouvelles. Mais on n’endort pas Madame Chose avec de belles promesses. Elle est allée voir Madame le Maire lors de sa permanence et lui a expliqué très clairement les choses. Madame Chose a bien conscience que l’élection présidentielle approche, elle ne fera rien pour faire perdre son camp, bien au contraire. Mais quand même ! Comment pourra-t-elle retenir plus longtemps la curiosité de ses amis, pigistes dans la presse locale ou journalistes d’investigation chez Mediapart, et de sa vieille connaissance au Canard Enchaîné, qui seraient bien scandalisés de découvrir comment le parti de xxx et de Madame le Maire traite la médiation socio-culturelle de proximité et les logiques de résistance ? Encore une fois, Madame Chose ne veut pas faire perdre son camp. Mais il est évident que quelques milliers d’euros, bien que largement insuffisants et inférieurs à ce qu’avait promis Madame Le Maire, permettrait à son association de passer 2012 sans encombre, et éviterait l’indignation de Mediapart et du Canard … c’est un fait.

Politiciens sourds et aveugles aux demandes des honnêtes citoyens, tremblez : pendant quelques mois, le nombrilisme va changer de camp.

Romain Pigenel

Les caractères de la politique, une nouvelle série sur Variae à suivre ici.