Les banquiers intouchables

Publié le 25 août 2011 par Copeau @Contrepoints

David Descôteaux s’insurge contre les cadeaux dont bénéficient les banques et écrit que retarder l’encaissement des pertes par des sauvetages coûteux, c’est retarder la reprise de la croissance. 

Par David Descôteaux, depuis Montréal, Québec

Reste-t-il encore de la laine sur le dos des contribuables américains?

Selon Bloomberg, qui a dû livrer un long combat pour obtenir ces informations, la Réserve fédérale américaine (Fed) a prêté en catimini 1200 milliards $ US aux banques de Wall Street entre 2007 et 2010, à des taux d’intérêt dérisoires. Sans ce cadeau, plusieurs d’entre elles auraient sombré.

Vous trouvez que c’est beaucoup ? C’est que vous oubliez les autres privilèges que les administrations Bush et Obama ont consenti à leurs amis de Wall Street (ou cautionné) depuis trois ans, dont :

— les centaines de milliards du programme TARP, en pleine crise, dont une partie a servi à renflouer les banques.

— l’achat, par la Fed en 2009, de plus de 1000 milliards $ de titres de dette « toxiques » (dont des hypothèques) aux banques.

— l’autorisation, accordée aux banques en avril 2009 par l’administration Obama, de déterminer elles-mêmes la valeur de leurs actifs (comme leurs titres hypothécaires), au lieu d’inscrire la valeur au marché. C’est la magie du « mark-to-fantasy » : les banques cachent leurs pertes, inscrivent des profits gigantesques dans leurs résultats financiers, et voient leur action grimper en bourse.

Pendant ce temps ces banques prêtent peu, les États-Unis perdent leur cote de crédit, les bonus pleuvent à Wall Street et des millions de moutons américains se font éjecter de leurs maisons.

Les banques canadiennes aussi

Surprise : des banques canadiennes apparaissent aussi sur la liste compilée par Bloomberg, disponible sur son site web. Ce qui surprend surtout, ce sont les montants prêtés.

En tout, les grandes banques canadiennes ont reçu 27 milliards US $ de la Fed. La Banque Scotia a reçu la plus grande aide avec 9,5 milliards en prêts (environ deux fois ses profits annuels). La Banque Royale du Canada (RBC) a reçu quant à elle 6,9 milliards, la Banque TD 6,6 milliards, la CIBC 2,2 milliards et la Banque de Montréal, 1,8 milliard. À ce jour, les sommes ont toutes été remboursées.

Pendant que le ministre Jim Flaherty vantait la « solidité » des banques canadiennes sur les tribunes internationales, la Fed renflouait ces banques par la porte d’en arrière.

Le plus déplorable, c’est que rien de sérieux n’a été fait depuis trois ans pour éviter que tout cela se reproduise. Et je ne parle pas de réglementations (les règles se font toujours contourner, quand elles ne sont pas écrites par les lobbyistes des banques eux-mêmes). Je parle de risque moral. Ce concept oublié, pourtant crucial dans l’économie capitaliste. Les banques, responsables en partie de l’ampleur de cette crise, n’ont pas payé pour leurs erreurs. C’est pourquoi elles vont les répéter. Quand on se sait intouchable, on ne se gêne pas.

On n’a rien réglé de la crise économique. Et depuis quelques semaines plusieurs banques, dont la plus importante aux États-Unis (Bank of America), se font massacrer en bourse. Les contribuables vont-ils payer encore une fois?

J’ai écrit pour la première fois ce passage il y a plus d’un an, et je me permets de le répéter à nouveau : tant qu’on refuse de laisser les banques encaisser leurs pertes et manger leurs bas — et l’État peut veiller à ce que cela se fasse de façon ordonnée —, on retarde la reprise économique. Tant qu’on refuse de laisser l’économie se purger de ses mauvaises dettes, et qu’on refile la facture aux citoyens, on empire le problème. Et on met la table pour une crise plus violente à venir.

On s’y dirige, tranquillement.


Sur le web (et « ne sauvez pas les banquiers avec mon argent« , sur Facebook)