Syrie : jusqu'où ?

Publié le 25 août 2011 par Egea

Le lecteur d'égéa aura peut-être été surpris de ne pas lire plus tôt de commentaire sur la Syrie. Et à bien y regarder, je m'aperçois que c'est même le premier billet sur ce pays. Du moins sur le nouvel égéa, car sur l'ancêtre, j'avais pas mal publié ! (ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, et ici). C'était en 2008, et il y avait alors pas mal de retournements. Mais depuis, on est de plus en plus déçu.

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L'actualité nous force en effet à revenir à ce pays, qui traverse des heures bien sombres. Jusqu'à présent, il contrôlait son intérieur pour influencer son environnement (Liban, Israël, et dans une moindre mesure Turquie, Irak, Jordanie, ...). Désormais, le régime a du mal à contrôler le pays (malgré la disproportion des moyens en œuvre) et est affecté par un environnement moins équilibré qu'auparavant.

1/ La Syrie bénéficiait en effet d'une position d'équilibre. Elle était arabe, et "laïque". Laïque parce qu'au-delà de l'idéologie fumeuse du Baath, la direction du pays par une minorité religieuse (alaouite, une sorte de chiisme) recueillait l'approbation des autres minorités (chrétiennes, kurdes, ... : la Syrie est beaucoup plus composite qu'on se l'imagine). D'une certaine façon, c'était le dispositif inversé de l'Irak de S. Hussein, où une minorité de sunnites dirigeait une majorité de chiites. Ceci expliquait d'ailleurs l'opposition entre les deux pays. Saddam disparu, la question se posait de la perpétuation du régime syrien.

2/ Le dispositif extérieur de la Syrie était en effet fondé sur trois éléments :

  • un interventionnisme constant au Liban, considéré comme une annexe du pays, indûment indépendant (alors pourtant que le Liban est organisé sur un régime confessionnel, à l'opposé du système syrien, plus stable de ce fait).
  • une liaison constante avec le régime iranien, à cause de la liaison chiite, et malgré la rivalité théorique entre arabes et perses. Ceci entraîne le soutien, plus ou moins constant, au Hezbollah libanais, à la fois chiite et libanais, mais qui ne devait pas prendre "trop" d'indépendance et d'influence au Liban.
  • une paix armée avec Israël, instrumentée par les deux parties, officiellement hostiles. La situation au Golan permet à chacun de se déclarer hostile à l'autre, ce qui permet à Israël de perpétuer son discours sécuritaire, et à la Syrie de donner des gages officiels au pan-arabisme en soutien aux Palestiniens. D'ailleurs, la Syrie a longtemps appuyé le Hamas de Gazah (tout en contrôlant soigneusement tout développement islamiste sur ses propres terres).

3/ Le régime a un peu flotté à la suite de la succession de Hafez Assad. D’ailleurs, Bachir continue de donner l'impression d'être une balle de ping-pong qui flotte sur le jet d'eau.... Il reste que malgré l'attentat contre Rafiq Hariri au Liban, et malgré les colères franco-américaines, les choses n'allaient pas trop mal, la Syrie profitant même des ouvertures turques et du néo-ottomanisme en cours à Ankara. Et cela malgré les divergences au sujet du Sandjak d'Alexandrette, attribué autrefois à la Turquie, alors qu'il abrite de nombreux alaouites.... Le bombardement d'un site nucléaire par Israël en septembre 2007 ne gêne pas trop le régime. La gestion de l'affaire irakienne s'était faite sans trop de difficultés, et les pressions internationales, habituelles, ne gênaient pas un régime qui y état habitué depuis des lustres.

4/ Mais tout ceci était un contexte classique : oriental et compliqué, je vous l'accorde, et donc difficilement compréhensible pour l'occidental moyen. Mais classique. Et pour arriver au chaos actuel, il fallait un autre événement. Ce furent les révoltes arabes, lancées en Tunisie, puis en Égypte, à Bahreïn et au Yémen. Du coup, de manifestations réprimées en incidents violents, de journées de la colère en tirs de la police, de tués par balles en deuils nationaux, le cycle manifestation répression s'est enclenché.

  • Le régime, dirigé dans les faits par les services secrets, n'hésite pas, car il sait qu'il ne survivrait pas à une démocratisation: paradoxalement, les postures de relative retenue en Tunisie et en Égypte se sont conclues par la chute des dictateurs. En Syrie, il n'y a pas eu d'effet de surprise pour le pouvoir. Il est armé, il ira jusqu'au bout, et il bénéficie encore d'un certain soutien d'une partie de la population, celle qui veut justement éviter que cela dégénère en conflit confessionnel : les minorités, et la bourgeoisie qui profite des affaires.
  • Cela étant, comme le mouvement dure, cela permet aussi à l'opposition de s'organiser : alors qu'elle était totalement improvisée au début (ce qui rend risible la dénonciation d'un complot organisé), elle se structure peu à peu et se renforce, même si elle n'a pas encore pris les armes.
  • Car voici une des différences entre la Syrie et la Libye : en Libye, il n'y avait pas de structures étatiques (tout passait par le mégalopathe) et il n'y avait pas d'armée. En Syrie, il y a une structure (Bachir Assad est une marionnette) et il y a une armée organisée qui obéit encore aux ordres, pour l’instant sans état d'âmes.

5/ Mais alors, pourquoi si peu de critiques de la part de la communauté internationale ? Parce que d'abord, on ne voit pas trop quoi faire (personne n'envisage une intervention militaire, surtout tant qu'il n'y aura pas d'opposition organisée et légitime); ensuite, parce que beaucoup trouvent un intérêt au statu-quo :

  • Israël parce qu'elle a déjà suffisamment de problèmes avec l’Égypte et Gaza pour ne pas activer un front nord, moins contrôlable.
  • l'Iran parce qu'il n'a aucune envie de perdre un allié dans la région.
  • les pays arabes, très inquiets de la propagation de ces révoltes populaires, et pas si émus que ça à l"idée d'une répression violente (confer l'intervention saoudienne à Bahreïn).
  • le Liban, qui n'a pas l'habitude d'interférer avec les affaires intérieures syriennes !
  • l'Irak, qui a déjà suffisamment de problèmes et a ses Kurdes.
  • la Turquie qui a longtemps mis en avant son nouveau cours "à l'est" et craint l'extension du problème kurde.
  • les Américains qui sont déjà trop intervenus au Proche-Orient.
  • Les Européens qui n'interviennent pas au Proche-Orient.
  • Les "émergents" (Chine, Russie) pour soutenir le principe de non ingérence.

Bref, pour tous, Le régime syrien est néfaste mais ce qui le remplacerait est inconnu et romprait, à coup sûr, l'équilibre encore en place.

6/ So what ? Et bien comme souvent, deux options paraissent possibles :

  • la première est celle de la maîtrise des manifestations par le régime, qui s'accommoderait d'une révolte latente mais incapable d'aller plus outre.
  • la seconde verrait d'une part l'opposition s'organiser politiquement, puis militairement, pour engager un scénario à la libyenne, encouragé par des défections dans l’appareil sécuritaire et l'abandon du soutien populaire qui persiste encore.

Je suis bien incapable, aujourd'hui, de formuler un pronostic en faveur de l'une ou l'autre solution.

7/ Le centre de gravité paraît Damas : si certaines banlieues sont prêtes à s'enflammer, la maîtrise de la capitale, mais aussi d'Alep, qui paraît peu touchée par la révolte, constitue la pierre de touche de l'affrontement en cours. Encore une fois, un lieu géographique symbolise la réunion d'un pouvoir politique, militaire et (très relativement) populaire, selon la trinité clausewitzienne que vous connaissez bien. Seule la disjonction de cette réunion fera basculer le régime.

O. Kempf