Le travail en tant que bien de consommation?

Par Sandy458


"Smatch supermarket, Deerlijk, Belgium", wikimedia commons, domaine public.

« Je te vends un poste dans la bouate ?

-   Combien ? On peut négocier ? »

Entre le social et l’économie, le divorce est – à quelques exceptions près - consommé.

Les effets pervers de la mondialisation et de la financiarisation des composantes de notre vie conduisent à une cassure nette entre l’homme travailleur et l’homme citoyen.

J’ai déjà parlé dans plusieurs articles  de ce blog «rubrique Job Story, l'avis et la vie d'une DRH » du choc générationnel entre  les différentes catégories d’actifs : jeunes, survivants à la crise, séniors etc…

Bien que ces catégories ne poursuivent pas vraiment les mêmes objectifs avec les mêmes moyens, il est évident qu’une prise de conscience généralisée s’est produite.

Les salariés ont dépassé, parfois dans la douleur, le stade de l’espoir de l’emploi à vie ou du paternalisme (état discutable confinant à la régression infantile pour le salarié !).

Le salarié 2011 sait - ô combien -  qu’il ne peut que compter sur lui-même pour s’assurer un minimum de sécurité dans sa vie professionnelle et donc dans sa vie tout court. Il devient garant de sa capacité à demeurer employable à tout moment  et que cette responsabilité n’est plus l’apanage des entreprises dans lesquelles il évolue professionnellement. A lui de prévoir l’évolution de ses compétences, de tirer le plus partie de ses capacités dans différents domaines pour rester dans la course à l’emploi, course qui tend bien plus à ressembler à une manche de NasCar qu’à une balade dominicale.

Se pose inévitablement la question de l’évolution de  la notion d’emploi en elle-même.  Dans un monde du toujours plus pour toujours moins cher, de la consommation érigée comme dogme de vie moderne, la notion d’emploi n’échappe pas aux travers de la société.

Puisque  rien n’est pérenne, l’emploi se définit de plus en plus comme un bien de consommation jetable.

L’entreprise moderne n’est pas une communauté où se croisent et se mélangent des êtres humains qui  tendraient vers un projet commun mais une sorte de supermarché où chacun pousse son caddy.

Qu’on réfléchisse un instant aux entretiens de recrutement, notamment passés dans des cabinets à l’activité dédiée. Susciter le besoin,  cibler les attentes pour adapter son discours,  fourchettes de prix… on se croirait dans une réunion de marketing.

Entrer dans une entreprise s’apparente à s’acheter littéralement un salaire (ah, la joie des discussions de K€ annuels !), de l’expérience supplémentaire qui permettra de prétendre à un poste meilleur, des compétences monnayables ailleurs à court ou à moyen terme. Vus sous cet angle le contrat de travail ressemble à une liste de course et la fiche de salaire à un ticket de caisse. 

Le supermarché -pardon l’entreprise ! -  se doit de répondre aux attentes de son client sous peine de le voir passer trop rapidement à l’enseigne concurrente. En effet, si le client/employé estime que son salaire n’est pas assez élevé, que son développement professionnel s’essouffle ou qu’il s’ennuie profondément, il guettera ou provoquera la moindre occasion de partir ailleurs.

Et l’entreprise dans tout cela ?

Sous peine de se voir vider de ses forces humaines, elle se voit contrainte à repenser ses principes de management.

Le manager va devoir apprendre à composer de plus en plus avec des adeptes « du chacun pour soi » en prenant soin de  les identifier,  de comprendre leurs aspirations et de s’adapter sans cesse.

L’entreprise pourvoyeuse de biens de consommation tant en interne qu’en externe va donc se retrouver  face à un étonnant paradoxe : avoir l’obligation d’assurer le développement des qualités professionnelles de ses collaborateurs mais aussi de  leur employabilité. Au final, elle va donner et conserver à ses employés toutes les chances de trouver un emploi  y compris au-dehors de sa structure !

En conclusion, je ne résiste pas à faire un parallèle cynique avec « l’arroseur arrosé »… à force de prendre tout un chacun pour une entité jetable, la société elle-même risque de le devenir.

Sauf si elle ouvre les yeux et qu’elle se remet à parier réellement sur les facteurs humains.

(oui, j’adore et je persiste avec mon antienne humaniste !)