La fille qui avait ses entrées chez les femmes-tronc du Grand Journal (si, si)

Par La Chose

Parce qu’une blogueuse populaire sait toujours comment te faire comprendre qu’elle sera toujours plus proche du hall d’entrée du Majestic que toi, même si c’est seulement pour y lécher le carrelage foulé par Andie MacDowell (qui devrait par ailleurs arrêter les liftings)

L’autre jour, en revenant de l’Ukraine (qui est un pays encore un peu pauvre dont les habitants clouent toujours des Tziganes sur les portes des granges pour éloigner le Mauvais Œil, mais ça passera sûrement quand ils seront rentrés dans l’Europe), en revenant de l’Ukraine donc, j’ai pris le train. Pas le train ukrainien, celui avec des poules en liberté, des skinheads et des Boys Band en route pour la capitale, mais le train français, le TGV, où on trouve aussi parfois des skinheads et des boys band, mais surtout des poules en liberté (surtout quand tu fais le Paris-Bordeaux et que tu as la chance d’être assise à côté de ravissantes jeunes filles qui retournent au quartier des Quinconces après un week-end shopping et cocaïne  aux Bains-Douches).

J’étais installée juste derrière un carré (tu sais, ces quatre places pas très confortables où on installe généralement les mères de famille qui ont trois enfants avec elles, et quand tu te tapes le Rennes-Marseille tu voudrais être morte ou, à défaut, tu préfèrerais encore voyager à l’arrière d’un trente-tonnes convoyant des porcs vers l’abattoir de La Bovida). Juste avant le départ du train, y’avait encore personne dans le carré, ni derrière moi, et j’étais plutôt jouasse à l’idée de faire un voyage peinard. Évidemment, au moment où la voix pas très aimable dans le haut-parleur nous a dit de faire attention à la fermeture des portes, plein de gens en retard se sont précipités dans le wagon. Une petite vieille dame s’est assise derrière moi et quatre jeunes ont pris le carré.
Comme tu le sais, ma dinde, j’habite en Armorique depuis deux ans, donc j’ai un peu oublié l’esprit parisien, les Champs-Élysées qui émergent de la brume, les vitrines de la Place Vendôme qui s’illuminent tout pareil que dans une pub pour un parfum de luxe où un mannequin anorexique court gracieusement sur le Pont Neuf en talons aiguilles, tout ça. Donc j’ai eu du mal à situer les deux garçons et les deux filles qui papotaient assez bruyamment dans le carré. J’ai vaguement vu qu’ils portaient des keffiehs, ça c’était assez facile à comprendre, ça voulait dire qu’ils étaient subversivement en rébellion contre une société capitaliste et impérialiste qu’ils trouvent pas belle, et aussi qu’ils sont solidaires avec le Tiers-Monde (où ils préféreraient habiter, d’ailleurs s’ils restent à Paris c’est seulement parce qu’il n’y a pas d’HEC à  Pelechuco). Les filles étaient habillées un peu comme les hippies de Woodstock, je trouvais ça plutôt sympathique même si elles ont tout de suite dégainé des iPhone, des iPods et d’autres choses modernes qui n’existaient probablement pas du temps où les gens voulaient mettre des tulipes et des pissenlits au pouvoir.
Ensuite ils se sont mis à discuter de plus en plus fort à propos de la colonie de vacances dont ils revenaient tout juste (en tant qu’animateurs, hein) et du Directeur du centre, qui était apparemment un type pas très chouette. Ils ont aussi parlé de choses politiques, et là ils criaient presque, je me suis demandé pourquoi jusqu’à ce que je me rende compte qu’ils avaient sorti un pack de bière format XXL et qu’ils en étaient chacun à deux ou trois bouteilles depuis qu’on avait quitté la gare. Un des garçons a commencé à rouler des pelles à la fille qui était assise à côté de lui entre deux rots, pendant que l’autre fille envoyait des tweets depuis son smartphone pour rappeler à ses followers que la méga-surprise partie de rentrée de l’école de commerce, c’était le samedi suivant.

La vieille dame qui était assise derrière moi, elle ressemblait à Mamie Nova, elle avait l’air de roupiller derrière son exemplaire de Notre Temps (qui est l’équivalent du magazine Be, mais pour les jeunes filles qui ont dépassé la soixantaine). Je me suis dit que c’était tout à fait le genre de grand-mère à te préparer des confitures maison et à te réchauffer des knackis Herta avec une bonne purée Mousseline, tout comme dans les pubs.
Les quatre jeunes chantaient des chansons de Raphaël, Ridan ou Tryo qui parlaient de l’amour, de la planète bafouée, des dauphins étouffés par les sacs en plastique et de la conscience populaire qui est comme une cocotte-minute (donc quand elle est à point, elle se met à siffler « Toi plus moi plus tous ceux qui le veulent », ou quelque chose comme ça). Ils avaient tendance à faire un peu beaucoup de bruit, surtout qu’ils appelaient des copains à intervalle régulier pour leur raconter leurs trois semaines de boulot dans la colonie (les enfants qui étaient merveilleux, surtout qu’ils venaient tous de milieux défavorisés, les sorties en bateau comme dans la chanson de Renaud et puis combien de collègues ils avaient pécho derrière les rochers, entre deux tas de varech).
La mamie avait fermé les yeux, je me suis dit qu’elle dormait et franchement, je sais pas comment elle faisait, avec tout le sympathique vacarme que faisaient nos quatre amis. Là, ils étaient partis sur le Grand Journal, son générique trop cool, son ton décalé et transgressif, ses présentateurs tellement subversifs qu’on se demande comment ils ne sont pas déjà en taule (Mouloud qui est tellement drôle, Ariane qui n’a pas sa langue dans sa poche, Ali qui est tellement beau qu’on aurait presque envie de le voir remplacer Rocco Siffredi dans « Viens chez moi, je te montrerai ma collection de 漫画 « ). La deuxième fille (celle qui n’avait pas sa langue enfoncée en permanence dans la gorge de quelqu’un) a dit qu’elle connaissait super-bien une copine de Mouloud, parce que sa cousine avait fait Sciences-Po avec la cousine du mec de sa meilleure amie, et est-ce que ses potes voulaient des places pour le prochain enregistrement de l’émission? Elle pouvait même s’arranger pour leur faire prendre un ballon de rouge avec l’équipe de Groland s’ils voulaient. Là il y a eu des hurlements, des « MOOOOORTEL! » et des « GRAAAAAAVE! », et puis ils ont sorti une bouteille de vin blanc et se sont mis à parler d’autre chose que je n’ai pas bien saisi, avec plein de gros mots comme Otaku, wota et hikikomori (sûrement des insultes secrètes).

On en était à presque deux heures de trajet et j’avais un peu mal à la tête, surtout que maintenant ils braillaient « OOOOH SEXY BOY » en chœur et dansaient debout sur les sièges. C’est là que la mamie s’est levée, en douceur parce qu’elle avait sûrement de l’arthrite, ou un de ces maux de vieux qui te guette quand tu as dépassé la date limite de fraîcheur (comme par exemple la tentation de voter De Villiers ou d’acheter des disques de Frank Michael). Elle est venue se planter dans l’allée, et puis elle a dit:

- NON MAIS VOUS ALLEZ FERMER VOS PUTAIN DE GUEULES?

Moi ça m’a fait peur, on aurait dit la voix du démon Pazuzu dans l’Exorciste, c’était très impressionnant.

- Mais…a dit le premier garçon.
- Heu…a dit le deuxième.

Les deux filles, elles n’ont même pas bêlé, y’en a juste une qui a fait « couiiii! » comme une petite musaraigne et l’autre qui a fait pipi dans sa culotte.
Après, la mamie est retournée s’assoir à sa place, toujours en douceur à cause de son arthrite, elle a repris son magazine et puis elle s’est remise à lire (je crois que c’était un dossier sur l’incontinence urinaire).

C’est marrant, des fois je me dis que les problèmes de communication entre les générations, c’est juste des conneries pour faire vendre Le Point et Le Nouvel Observateur.


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