Ah ! Maupassant...

Publié le 04 septembre 2011 par Dubruel

LA MAIN D’ÉCORCHÉ

 

Un jour, il y a six mois,

Louis Rémois

M’invitait avec des camarades.

Nous avions bu plusieurs rasades

Quand Romain sortit d’un sachet

Une main d’écorché,

Longue, noire, décharnée.

La peau était parcheminée.

Les ongles, étroits,

S’incarnaient dans les doigts.

 

Il raconta : « À la brocante

D’Honfleur,

On vendait les affaires

D’une sorcière

Haute en couleurs.

Cette sibylle prétendait savoir pêcher

Des sardines au crochet,

Elever des vaches sans lait,

Enfourcher son balai

Pour aller à la messe…

Elle n’avait de cesse

D’aller et venir, brandissant

Cette main desséchée

Tout en jetant mezza voce

De mauvais sorts aux passants.

 

-Que vas-tu faire de cette horreur

Demanda Claude Bonheur.

« J’en ferai mon bouton de sonnette

Pour effrayer mes créanciers ! »

Répondit Romain tout net.

Jean, un de nos amis, sous-officier,

Lui conseilla en riant :

-Enterre donc ton débris, chrétiennement ! 

 

Je ne croyais pas aux sornettes

Bien évidemment,

Mais, curieux de voir l’étrange sonnette,

J’allais vers vingt heures

Chez son détenteur

Et lui demandais : -Et ta main,

Où est-elle passée, Romain ? 

Je ne l’ai pas vue à ta porte. 

-Mon propriétaire, ce cloporte,

M’a prié de la dévisser

 

Sans quoi, il se verrait forcé

De me donner congé.

Je l’ai donc ôtée et rangée

Dans un tiroir. 

 

Ma curiosité assouvie,

Je lui souhaitais le bonsoir,

Et rentrais me mettre au lit.

Mais au point du jour,

Quelqu’un hurla dans ma cour.

C’était le valet de Romain :

-Mon pauv’ maître, mâtin !

Vient d’être assassiné.

Je me vêtis et m’acheminais

À son domicile.

Trois policiers en civil

Parlaient tout bas.

Et deux médecins causaient là

Près du lit où Romain gisait

Sans connaissance, ankylosé,

Ses pupilles dilatées.

Des blessures apparaissaient

Nettement sur son cou ensanglanté.

 

Je quittais la chambre du blessé.

Et le lendemain, je lisais

Dans le journal ce récit :

« Un attentat horrible a été commis

Sur la personne de Romain Lanzais.

Cet homme était rentré vers dix heures.

Il avait libéré son valet Paul Saneur

En lui disant qu’il était flapi

Et qu’il allait se mettre au lit.

Le domestique fut réveillé à deux heures

Du matin par les cris de douleur

Poussés par Monsieur Lanzais.

Saneur accourût. Son maître gisait,

La face livide, couché sur le parquet,

Sur son cou, on a remarqué

Cinq entailles sans doute causées

Par des ongles fins et comme vert-de-grisé.

Le mobile du crime est inexplicable

Et l’auteur reste introuvable. »

 

Le rapport du docteur Bourdon

Précisait : « l’agresseur avait la main osseuse

Et sûrement une force prodigieuse. »

 

Bien plus tard, l’infirmier de l’hôpital

Me disait craindre pour l’état mental

De Romain. Il avait vu juste. Début août,

Mon pauvre ami devenait fou

Pendant six mois, j’allais le voir

Tous les soirs

À l’asile où il était placé.

Il ne devait jamais plus prononcer

Le moindre mot pertinent.

Il se croyait toujours poursuivi

Par un fantôme violent.

Un jour, je le trouvai à l’agonie.

Au bout d’un instant,

En s’agitant

Il s’écria :

-Prends-la !

La main m’étrangle. Au secours !

Au secours ! 

Et il s’écroula,

Raide mort.

 

On l’enterra.

Mais six mois après, l’autopsie de son corps

Ayant été demandée par la famille

Nous nous rendions au cimetière

Sa fille,

Rémois,

Un prêtre et moi.

Le curé lisait son bréviaire

Et marmottait des orémus tout bas.

Dès qu’il nous vit,

Le fossoyeur abasourdi

Nous appela.

D’un coup de pioche mal orienté,

Il venait de faire sauter

Le couvercle du cercueil. Nous accourûmes

Et nous aperçûmes

Un squelette au poignet coupé.

Sa main s’était mystérieusement agrippée

Sur le haut du corps.

 

Faisant une très vilaine grimace,

Le croque mort

La prit et la remit à sa place…

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Les plus courtes folies sont toujours les meilleures.

Marguerite de Navarre

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