POESIE A SIX VOIX (Umar TIMOL, Ernest PEPIN, Davina ITTOO, Sylvestre LE BON, Eddy GARNIER et Patricia LARANCO).

Par Ananda

ce visage n'est pas encore / mais il brûle toutes les chairs / il saccage les promesses insoupçonnées / il déclame les égéries du temps / ce visage n'est pas encore / mais il est lumière qui frelate les terres / il est ces pelures de soleil qui abiment nos mains ridées / il est la syntaxe de ces larmes qui dévalent le long des fleuves / ce visage n'est pas encore / mais il est doux comme l'est l'aube avant la naissance de ton souffle / il est rayonnant comme la blessure présumée et bafouée / il est lave avant la déferlante des apocalypses / ce visage n'est pas encore / mais je l'ai parfois entrevu / il n'est de beauté plus vaste / plus stoïque / plus dénuée / que ce visage / mais il n'est pas encore / et un jour / demain / ou tout à l’heure / il sèmera sur nos rivages de sang / tous les préalables de son culte / il professera la métamorphose des cœurs / et le loup deviendra agneau / et la haine sera amour / et ses extases dissiperont les ombres / ce visage n’est pas encore / mais je l’ai parfois entrevu / et il est drapé de tant de splendeurs / que les oiseaux se taisent / et que la mort cesse ses ravages / et que l’aveugle cesse de désirer la lumière / ce visage n’est pas encore / mais je l’ai parfois entrevu / c’est le sien / créature ou Créateur / je ne le sais / ce visage n’est pas encore / et tes lèvres seules parviendront à desceller son voile /

Umar Timol

Ce visage n'est pas encore/ mais j'ai goûté à ses rides profondes/ Ce visage n'est pas encore/ mais la lumière s'infiltre déjà entre les crevasses/ Ce visage n'est plus/ depuis que les ombres s'y propagent/ en toute impunité/ depuis que les anciens ont décrété la mise à mort/ depuis que le monde chancelle de bruits inconnus/ Je regarde les océans/ je perçois les traits lointains de ce visage tant convoité/ je touche la lumière/ l'abîme s'évapore dans tes veines/ L'afflux de sang/ brûle tes joues/ rougeur subite sur le front d'une femme/ à l'approche de ce visage/ à l'approche de ce souffle/ je me distend et attend/ appel patient d'un dénouement à venir/ Vivre est brûlure, exister est souillure/ la clameur des autres/ les refrains d'antan/ proclamant la fin imminente/ Ce visage que j'ai entrevu en rêves/ Délivre-le des nœuds qui l'enserrent/ Pose-le sur mon cœur/ comme le sceau d'un roi sage/ ce visage que j'ai connu/ c'est le Tien, toi que j'appelle Dieu/ dans le secret de mon désespoir/

Davina Ittoo

tu seras visage tantôt de cendre, tantôt de lumière et la distance se fera/les rides seront tatouées et nervureront/l'avenir qui ressemble à une avenue taillant dans la jungle d'Angkor/et la souillure d'exister prendra la forme de ces fleurs aux carnivores pétales de chair égaux à des quartiers de viande/et le cœur des fleurs chantera sa tentation de t'avaler/il y aura des nœuds en nous nœuds de cordes nœuds de cristal ou nœuds de déréliction nœuds d'élixir volé aux sylves juste sous le derme des mers avides de gravidité

Patricia Laranco.

Visage sans nom sans oubli/Qu'elle portait/Tel un bouquet igné de rosée...

Sylvestre Le Bon (Extrait du recueil Rêves en fugue)

Visage au nom pluriel tu n'étais pas né que les naissances qui t'ont précédé avaient préparé celles qui devaient te donner vie/ Visage aforme tu m'as connu avant que je doive croire en ton impalpable en ton invisibilité mais tu te fais sentir à travers les pores du charbon 14.

Eddy Garnier.

Ce visage semblera une palabre sans fin/ une nostalgie intime du refrain des étoiles/ il nous fera don des saisons incandescentes qui montent à la pleine lune/ il proclamera le temps du jasmin et des fièvres/ Visage éclaté comme le cri de l'aurore/ Nous l'applaudissons sans attendre sa naissance/ Qui modèlera ses traits aura ce lait d'enfance qui ne sied qu'au miracle/ nous l'orneront de pluies douces et de clartés incorruptibles/ Sel ardent de l'avenir et qui prend forme dans son cocon d' île inespérée/ j'entends déjà son rire / Galet de cristal ressoudé/ Visage conjugué à l'innocence d'un premier printemps/ Je te salue défi de m propre renaissance/ et j'effleure d'un songe inédit la touffe de bambou neuf que tresse tes cheveux/ Tu viendras à la tige du monde/ je t'appellerai à la foi des libertés/ à la joie des promesses/ à cette paix ouverte dans mes mains/ je t'attendrai roucoulement de ma chair multipliée comme au bord d'une source attentive à sa perle le voyageur comptable de toute soif/

nous l'ornerons...

Ernest Pépin

nous l'ornerons de feuilles d'or et de tissages mangroviens de sceaux de lierre ocellés d'yeux scellés sous poids de paupières et de fourrures taillées à même le plein soleil tonnant nous le décorerons de courts carreaux bleus arrachés au ciel vibrato clair et continu pareil à la syllabe Om en équilibre sur un fil ou sur la courbe d'une tige où l'abdomen d'un frelon gît rayé de nuit et de lueur de stratifications d'éclairs/ nous l'armerons de pied en cap d'une forêt de pierre et fer où sombrera son regard-puits de l’autre côté du miroir/ jusqu'à la satiété de vivre et l'écume calligraphiée contournera l'œil du vortex séminal jettera son lait baveux à la face des nuits

caverneuses où l'étoile infuse en tentant par ses coups de dards de soulever le derme flou, vitreux qui emprisonne tout, retient tous les objets du monde un peu comme de la gelée

Patricia Laranco