Nine Eleven

Publié le 13 septembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Depuis le 11 septembre 2001, les États-Unis ont perdu la maîtrise diplomatique et ont connu un certain déclin économique. Quelles sont désormais les raisons d’espérer du peuple américain ?

Par Jacques Garello, administrateur de l’IREF et président de l’ALEPS
Publié en collaboration avec l’ALEPS(*)

Nous voici donc dix ans en arrière. Je participais au Congrès de la Société du Mont Pèlerin à Bratislava, capitale de la Slovaquie. Un bon tiers des congressistes était américain. Après le déjeuner, je suis allé dans ma chambre par hasard, et par hasard j’avais laissé la télévision allumée, et par hasard j’ai vu l’avion s’enfoncer dans la deuxième des tours jumelles. J’ai cru un instant qu’il s’agissait d’un film de science-fiction, mais très vite le commentateur est venu annoncer la terrible nouvelle. Je suis immédiatement redescendu dans le lobby de l’hôtel et j’ai eu beaucoup de mal à me maîtriser pour expliquer à mes amis Américains ce qui se passait. Les uns ont été incrédules, pensant à un accident d’avion, les autres ont eu le réflexe immédiat de téléphoner : qui avait un parent, qui un ami qui travaillait à New York. En particulier le siège du Wall Street Journal avec son rédacteur en chef George Mellon était adjacent aux tours : y avait-il eu des victimes là aussi. Il a réellement fallu plus d’une journée à l’assemblée pour retrouver un peu de sérénité, mais le coup avait été fatal : c’est l’Amérique qui avait été frappée.

Je vous raconte cette histoire vécue pour bien mesurer ce que l’attentat des tours jumelles a représenté pour le peuple américain, et pour une partie de son élite intellectuelle présente ce jour-là à Bratislava, avec trois prix Nobel (Friedman, Buchanan et Becker) et des dizaines d’universitaires économistes, juristes, historiens et philosophes.

Certes l’Amérique avait traversé d’autres épreuves : les deux guerres mondiales – et en particulier l’engagement en Europe et dans le Pacifique – et surtout la guerre du Vietnam, dont les blessures venaient à peine de se refermer, grâce au succès de Reagan qui avait rendu aux Américains foi dans leur patrie et dans ses valeurs de liberté et de démocratie. Mais c’était bien la première fois que l’Amérique était atteinte sur son propre territoire, alors même qu’elle avait su se préserver contre la menace des fusées soviétiques.

Les États-Unis découvraient la réalité du terrorisme, qui les avait épargnés. Le monde entier venait de réaliser qu’il n’y aurait désormais plus de sanctuaire, d’abri ou de relâche dans la barbarie fanatique. La mondialisation du terrorisme prenait consistance.

Nous payons peut-être aujourd’hui encore le prix de ce onze septembre. Est-ce une raison pour renoncer à tout espoir ?

Le prix est incontestable. George W. Bush, dont le courage et l’élévation d’âme avaient été remarquables aux premières heures, a désigné une cible à la fois ambiguë et insaisissable : les « États voyous ». Quelques semaines plus tard, il engageait l’Occident dans la chasse à Sadam Hussein, sans le consentement réel des autres pays (exceptée la Grande Bretagne). Était-il le véritable adversaire de l’Occident ? Il était à coup sûr l’adversaire de son peuple, et méritait sans doute un châtiment. Mais les opérations militaires ont traîné, et peu à peu les citoyens américains eux-mêmes se sont inquiétés. La réélection de Bush a été difficile, et son impopularité a porté au pouvoir Barack Obama. La guerre en Irak avait déjà pesé sur le budget, le retour de l’État Providence allait grever lourdement les finances fédérales, jusqu’à la déroute actuelle – en causant au passage la crise financière dont on n’a pas fini de parler.

En quittant les États-Unis pour observer le reste du monde, le 11 septembre a encouragé la montée d’un islamisme radical, et le fanatisme religieux n’a cessé de progresser dans tous les pays du Proche et du Moyen Orient. Al Quaïda a pu étendre ses réseaux jusqu’au cœur de l’Afrique, tandis que les Talibans ont repris l’initiative en Afghanistan. La mort de Ben Laden et de ses principaux lieutenants a cependant marqué un tournant, et les « printemps arabes » ont peut-être changé la donne. Toujours est-il que l’Occident, et les États-Unis en particulier, ont perdu la maîtrise diplomatique, et que Russes et Chinois essaient d’imposer leur loi, notamment à l’ONU. La diplomatie mondiale n’est plus « univoque », ce qui réjouit Monsieur Védrine, mais elle n’en est pas plus rassurante pour autant.

On a beaucoup parlé du déclin économique des États-Unis. Mais d’une part, il s’explique par l’émergence des nouveaux pays, de la Chine au Brésil en passant par l’Inde – sans parler des « dragons » du Pacifique. D’autre part, il n’est pas directement lié au 11 septembre. C’est davantage la politique monétaire et budgétaire laxiste, et les improvisations du « stimulus » qui ont ralenti la croissance aux États-Unis, et le chômage actuel en est le fruit naturel.

Alors, où sont les raisons d’espérer ? Je les perçois à travers la façon dont le peuple américain prépare cet anniversaire. Il y a à nouveau un mouvement de fierté et de confiance qui s’instaure outre-Manche. Il s’est traduit par les réactions spontanées de la société civile, autour du thème de la « tea party » : volonté de réduire les impôts, l’État, la bureaucratie. Un grand nombre d’Américains, y compris des immigrés récents, renouent avec les principes des pères fondateurs. Le sentiment religieux redevient vivace dans de nombreux États. Quant à l’économie, il ne faut pas la chercher à Wall Street ou à la FED, mais bien à travers le réseau des petites et moyennes entreprises qui s’est progressivement reconstitué. La croissance, affaiblie par la politique économique, demeure supérieure à celle de l’Europe, même si le chômage apporte son lot de misères et d’exclusions. L’alternance politique a été amorcée au Congrès, elle pourrait se prolonger à la Maison Blanche, même s’il n’y a pas pour l’instant de personnalité affirmée de nature à battre Obama.

Les États-Unis demeurent ce qu’ils ont toujours été : une société d’immigrés, où le respect des différences est essentiel, et une société « compassionnelle », qui sait allier la réussite individuelle et la solidarité de la communauté. Cela n’a pas été détruit avec les tours.

Tout compte fait, il me semble que le maillon faible de l’Occident, tragiquement frappé en 2001, n’est pas l’Amérique mais bien l’Europe. Nous sommes allés bien plus loin que les États-Unis dans les utopies étatistes et la dégradation des lois et des mœurs. Si les Américains remettent à l’honneur la trilogie qui a fait leur histoire : esprit d’entreprise, société civile et religion, nous serions bien avisés de prendre le même chemin. Faudra-t-il une catastrophe pour réagir ?

Sur le web.

—-
(*) L’ALEPSprésidée par le Professeur Jacques Garello, est l’Association pour la Liberté Économique et le progrès social, fondée il y a quarante ans, sous l’autorité de Jacques Rueff, dans la tradition intellectuelle française de Jean Baptiste Say et Frédéric Bastiat.