Mad Max

Par Meta

Faut-il s'étonner de voir programmer sur les chaînes traditionnelles les chapitres deux et trois de Mad Max, et de ne jamais entendre parler du premier ? Est-ce en raison de la violence caractérisée du premier opus dont la diffusion fut réservée aux cinémas classés X ? Bien des films proposent des meurtres, de l'hystérie, de la transgression de tabous et sont diffusés plus aisément. Qu'a donc Mad Max pour conduire les chaînes à ignorer sa programmation ? Est-ce en vertu de la présence d'un enfant mort, la société peinant à supporter l'idée de voir un chérubin réduit en charpie ? Bien qu'elles soient rares, on trouve suffisamment d'oeuvres présentant des tabous sociaux sur les chaînes télévisuelles pour supposer que le problème que pose Mad Max n'est pas là. Le caractère malsain du film, son absence de morale, le nihilisme de sa narration, n'ont rien à voir avec les films suivants où un « guerrier de la route » vient en aide aux bonnes gens malgré son mauvais caractère. Le premier film décrit un paradigme social dans lequel la loi du plus fort est la règle première régissant les conditions de survie. Le format simple de l'histoire inscrit celle-ci dans la tradition de westerns dans lesquels un héros ayant prouvé sa valeur par son caractère de tête brûlée se voit plongé dans un chaos dont il s'extraira à l'aide de sa propre volonté. Mais ici, le héros n'y gagnera rien. Au contraire, il perdra tout. Non seulement Max perd sa femme et son fils, ainsi que son meilleur ami, mais il perd ce qui pourrait le maintenir en vie : sa haine. Qui peut-il haïr une fois qu'il a tué les objets de sa haine. Dans les oeuvres traditionnelles, la colère du héros se focalise sur des malfrats dont la mort implique la sauvegarde de citoyens, le retour de la liberté ou de la paix. Ici, la mort des motards achève l'oeuvre, met fin au monde du film: Max n'a ni satisfaction ni salut. Reste sa catatonie à l'issue de la frénésie. Miller a le génie de construire un film exaltant l'hystérie frénétique d'une lutte gratuite sur des routes où sous le sang et la sueur ne reste que du bêton gris. Pour comprendre la valeur du nihilisme véhiculé dans le film, il faut considérer la nature des antagonistes. Qu'est-ce qu'un aigle de la route ? C'est un membre d'un gang affirmant que la vertu principale est la liberté. Ce crédo hypocrite consiste à déclarer que chacun peut faire ce qu'il veut du moment qu'il en a les moyens. Cette position égoïste, qui n'a au fond rien à envier à ce que déguise la morale instituée en faisant croire que le respect des autres évacue les enjeux liés au pouvoir et au contrôle, n'est qu'une façade pour le leader du groupe. Le chef sait que l'enjeu de la survie de leur groupe est le maintien de son pouvoir. Comme il le dit à Bubba qui se refuse à aider l'un des aigles qui manque de courage : « Tu ne le fais pas pour lui, tu le fais pour moi ! ». Ce que masque cette soif de liberté dans un monde où la bureaucratie écrase ceux que le capitalisme a épargné, c'est qu'être libre implique du contrôle, qu'agir librement, c'est être l'instance de détermination. Dans l'espace social, on ne choisit pas, et les salauds sont libérés parce que la procédure ne fut pas respectée ou parce que quelqu'un a oublié de témoigner. Contre cette moralité : la non moralité, la destruction. Max le dit à son chef avant de basculer : « j'ai peur de devenir comme eux ». Mais ce ne sera pas le cas. Il sera pire. Les aigles de la route croient en la liberté de chacun à survivre comme il le veut, leur chef croit à la force du pouvoir. Max ne croit en rien, la justice n'est plus qu'un mot dans le vocabulaire d'une civilisation mourrante. Le nihilisme naissant de Max fait de lui un monstre, là où les violeurs, voleurs, tueurs qu'il combat ont une forme de moralité, qu'on l'aime ou pas. Là est le message dérangeant de Mad Max. Non un relativisme des valeurs que pourtant il affirme mais bien le fait qu'au-delà de ce relativisme, il n'y a rien. On a lu dans Mad Max l'affirmation d'une post-humanité, comme ce que Cronenberg appelle « la nouvelle chair » dans Videodrome. On a pu dire que Max ne faisait plus qu'un avec son véhicule. Il est vrai que le bolide est un personnage, instance matérielle de la vengeance du héros déchu. Max devient une machine, se connecte tout entier à la voiture pour détruire. Mais le film n'est pas une critique de l'inscription machinique de l'homme dans le monde. La machine est ici l'occasion de révéler la possibilité du nihilisme et ce qu'il implique. Comme l'a dit George Miller, Mad Max est un film sur la violence et la dénonce. Il permet au fond de comprendre en quoi elle est incontournable, nécessaire et insupportable à la fois, en quoi nos dispositifs de moralité impliquent son maintien et en quoi elle s'inscrit de toute manière dans l'espace du monde auquel nous participons. Le scandale de l'adaptation actuelle du film est sans doute la censure aveugle qui fut opérée sur le film. On ne dénoncera jamais assez l'opération de la censure. Tout doit être montré ; rien ne justifie la destruction d'une oeuvre sinon l'angoisse en partie irrationnelle d'une classe dirigeante. On a vu récemment ressortir des versions se disant complètes mais elles omettaient cette scène fondamentale qui montre le corps de Bubba attaqué par le vautour ; l'image montre l'animal lui arrachant un oeil. Nul doute que ce n'est pas le caractère gore de la scène qui fut censuré ici mais bien l'idée que ce motard n'est qu'un tas de viande, qu'il soit mort ou vivant, comme chacun de nous. La scène de l'anthropophagie, l'animal qui mange l'animal que je suis, rappelle par trop ce que défend l'oeuvre de Miller : la violence est impliquée par le nihilisme du monde. Et les plans non censurés sur les yeux exorbités s'inscrivent dans la droite ligne de l'animalité soulevée dans le film. Sur le point de mourir, sentant leur chair sur le point de rompre, les deux chefs de bande ne dégagent pas d'angoisse, point de peur inscrite dans un regard craintif. Le plan gore sur les globes occulaires révèle une peur primale, un cri de la chair qui se sait aux portes de la destruction. De mémoire, bien peu de films (aucun ?) ont utilisé ce procédé, ce plan rapide exprimant la neutralité de la violence faite à des corps meurtris par les lois de la nature, ici les lois de la route. Dur pari du réalisateur ici, de maintenir un crédo éthique qu'il ne peut que justifier en disant qu'il dénonce la violence. Il la dénonce mais en même temps, il la constate comme inévitable. Aucune alternative à celle-ci ; violence physique ou violence sociale. Le constat est toujours dénonciation, mais il n'est pas un voeu pieux.

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