Poésie des bas-fonds

Par Borokoff

A propos de Putty Hill de Matt Porter 4 out of 5 stars

A Baltimore, le quartier de Putty Hill est en deuil. Cory, un jeune de 24 ans, vient de décéder d’une overdose d’héroïne. Une voix-off (mais qui parle ?) recueille les réactions des habitants et des proches de Cory une à une, à la manière d’un documentaire joué par des acteurs de Baltimore.

Tourné avec un budget dérisoire (18 000 euros) et en 12 jours, Putty Hill est un objet cinématographique déroutant, à mi-chemin entre documentaire et fiction, réalisme et conte, sans pour autant rentrer dans aucune de ces catégories.

À l’origine, Matt Porterfield avait écrit un autre long métrage, Metal Gods entre 2007 et 2009, une fiction qu’il qualifiait lui-même de « conte sur le passage à l’âge adulte mettant en scène des jeunes fans de Heavy Metal aux abords de la ville de Baltimore ». Faute de moyens, le projet tomba à l’eau.

Pour Putty Hill, que Porter a écrit dans la foulée, il semble que le recours à une forme mutante, que l’on pourrait qualifier de pseudo semi-documentaire, résulte d’abord d’une nécessité financière, le documentaire permettant un tournage plus rapide.

Pourtant, jamais dans Putty Hill l’usage de la forme documentaire (témoignages, interviews des proches de Cory) ne passe pour une béquille maladroite ni même visible dans l’élaboration du projet. Au contraire, l’approche réaliste voire documentaire du film rend l’objet cinématographique pour le moins ambigu et difficile à qualifier.

Joué par des acteurs non professionnels de Baltimore, Putty Hill dépeint une population en marge de la société américaine. Une population que l’on sent délaissée, livrée à elle-même comme si elle avait subi de plein fouet la crise financière mondiale. Pourtant, le déclin économique de Baltimore ne date pas d’aujourd’hui mais des années 1970. C’est à ce moment-là que la ville du Nord-Est des États-Unis a commencé à se dépeupler, à ce moment-là aussi que ses taux de meurtre et de toxicomanie se sont envolés…

Quel regard le cinéaste, lui-même originaire de Baltimore, porte-t-il sur ces « oubliés » de l’Amérique, ces fantômes des suburbs ? Porter a construit son film autour d’un narrateur omniscient dont on ne sait rien, pas même l’identité, mais qui hors-champ interroge tour à tour les proches de Cory. Ces derniers, dans leur manière de lui répondre, de se confier, semblent le connaitre et lui faire confiance. Cette voix-off est-elle celle d’un journaliste, d’un proche, ou de Porter lui-même ? Le mystère plane, qui restera entier. Mais là ne réside pas l’intérêt du film. Ce qui rend passionnant cet objet, outre qu’il soit insaisissable formellement, c’est le regard que le cinéaste porte sur ces êtres meurtris en marge du système.

Un regard plein de compassion voire contemplatif. Une scène résume la poésie qui émane du film. C’est lorsque des jeunes amis de Cory se réunissent pour se baigner dans une rivière dans la forêt. Le soleil a réussi à percer les feuilles des arbres qui l’entourent. On pense dans le lyrisme, cette attention extrême portée au cadre, aux lumières, aux acteurs, à Terrence Malick. Pas besoin de mots pour décrire une émotion, Porter est un observateur silencieux qui sent bien les choses comme les affects de ses personnages (notamment chez les adolescents).

Pas de misérabilisme dans sa manière de décrire ces Américains « paumés ». Porter les connait trop pour cela. Mais il a su tirer de cette population, dont on note que Noirs et Blancs se mélangent beaucoup plus facilement que dans le reste des Etats-Unis, une poésie insoupçonnée et sensible. Évitant le piège de la démagogie et du pathos. Tout droit dans la lignée d’un Fante ou d’un Carver, d’un Pynchon ou d’un Richard Lange…

www.youtube.com/watch?v=gwx6ewC_deY

Film américain de Matt Porterfield avec Sky Ferreira, Dustin Ray, Cody Ray, James Siebor Jr (01 h 30).

Scénario : 4 out of 5 stars

Mise en scène : 4 out of 5 stars

Acteurs : 4 out of 5 stars

Dialogues : 3.5 out of 5 stars