In the mood for news (4) : "L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford", le film de la semaine …et de l’année ?

Par Sandra.m

Cette semaine, « in the mood for news », le bulletin d’informations cinématographiques de “In the mood for cinema” sera entièrement consacré à "L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » d’Andrew Dominik, indéniablement le film de la semaine et peut-être de l’année, présenté en avant-première au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2007 où il a créé l’évènement et divisé le public, les uns criant au chef d’œuvre, les autres, s’ennuyant et partant avant la fin du film,  aveugles ou insensibles à sa beauté sidérante et ensorcelante.

Voici ci-dessous le récit de la conférence de presse et ma critique du film repris de mon blog consacré à ce 33ème Festival du Cinéma Américain de Deauville « In the mood for Deauville » (http://inthemoodfordeauville.hautetfort.com ). Vous pourrez également retrouver des vidéos exclusives de cette présentation et de cette conférence de presse en cliquant sur le lien suivant : voir les vidéos de la présentation et la conférence de presse de "L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford" (en m'excusant pour leur mauvaise qualité et leur brièveté, celles-ci étant prises avec un appareil photo assez rudimentaire, la durée des vidéos étant de surcroît très limitée sur ce blog.)

La conférence de presse de L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford au 33ème Festival du Cinéma Américain de Deauville

L’assassinat de Jessie James par le lâche Robert Ford. Voilà qui résonne comme le titre d’un film de série B. Voilà qui est tout sauf un film de série B. Un film majeur, sublime, singulier, qui m’a enthousiasmée et captivée comme rarement je l’ai été cette année au cinéma. Mais avant d’en revenir au film et à sa projection :  petit flash back sur la conférence de presse qui s’est déroulée auparavant, du moins est-ce ainsi qu’on appelle ce curieux rituel  qui la veille avec George Clooney pour "Michael Clayton" avait eu des allures d’empoignade, qui cet après-midi avait des airs d’évènement. L’atmosphère est électrique dans la foule des journalistes, tous médias prestigieux qu’ils représentent, certains s’étant vus refusés la veille l’accès à la conférence pour «  Michael Clayton ». Le sésame indispensable  est apparemment cette fois gris. La hiérarchie festivalière qui ignore toute démocratie (la démocratie s’arrêterait-elle à l’entrée d’une salle de presse ?) est parfois obscure.  Nous entrons par quatre.   J’entre. Un garde du corps, épuisé, nous toise d’un regard méprisant. Les CRS entourent la salle de conférence. Allons-nous voir un lion en cage ? Nous voilà en tout cas enfermés avec lui dans le zoo. Un lion traqué plutôt. Après la décontraction et le professionnalisme de Michael Douglas, les excès d’enthousiasme du  non moins charismatique George Clooney, Brad Pitt est visiblement tendu, sur la défensive, (on le serait à moins…) distribuant ses sourires avec parcimonie. Exténué sans doute, la traque a paraît-il commencé dès le début de l’après-midi, dès l’aéroport, puis à l’hôtel Royal. Ne jamais baisser la garde. Comme Jessie James. Véritable métaphore de sa propre existence. Brad Pitt est parfois craint parce qu’admiré. Jessie James est admiré parce que craint. Mais leurs célébrités, certes si dissemblables dans leurs causes, les enferment dans une pareille solitude, méfiance, les condamne à être constamment aux aguets, à l’affût d’un regard perfide, d’une attaque imprévue, à être coupés de la vie. Ils sont deux victimes de personnes aspirant à la célébrité « sans savoir pourquoi, croyant qu’ils vont ainsi devenir de meilleurs humains » ajoute Brad Pitt. Ils provoquent tous deux des bagarres d’un genre certes différent, l’un entre des vautours d’un genre nouveau (à l’aéroport, donc), l’autre entre ceux qui veulent sa tête, d’une autre manière ( dans des plaines gigantesques).  Deux êtres, finalement et évidemment humains, dont on a voulu faire des légendes.  Et la même lassitude, alors compréhensible, semble s’être emparée d’eux. La conférence de presse débute par l’évocation de la complexité du film, à l’image des films des années 1970 qui « prenaient leur temps ». La première version faisait ainsi 4H30. Celle-ci fait 2H35. Rassurez-vous : vous ne les verrez pas passer.  Mais cette similitude entre sa propre existence et le personnage de Jessie James n’est certainement pas la seule raison pour laquelle Brad Pitt a choisi de produire ce film sur le célèbre hors-la-loi et de l’incarner.

A une question sur « L’homme qui tua Liberty Valance » de John Ford, Andrew Dominik avoue qu’il ne l’a pas vu et Brad Pitt répond que lui l’a vu mais que, contrairement au film de Ford, celui d’Andrew Dominik, raconte davantage la véritable histoire de Jesse James  que la légende. Brad Pitt  précise que lorsqu’il choisit de s’investir dans un projet, il ne réfléchit évidemment pas pour savoir si le film aura du succès ou non. Ce qui compte surtout pour lui c’est « l’histoire et les gens qui travaillent sur un projet ». Il évoque aussi sa société de production « Plan B », dont il avoue que le nom n’est pas trop inspiré (inspiré par son prénom et celui de l’autre cofondateur qui s’appelait également Brad) parce que souvent il voyait des films qui n’aboutissaient pas comme il l’aurait souhaité.  A Casey Affleck, un journaliste demande s’il considère davantage son personnage comme un traitre ou une victime. Casey Affleck répond qu’il est « les deux et bien d’autres choses ». L’intérêt du film et leur implication dans celui-ci résulte selon eux avant tout de  son absence de manichéisme. Les films projetés depuis le début du festival ( à l’exception du film en compétition ce matin « For your consideration » qui a tenté de dire maladroitement ce que Marc Fitoussi a exprimé si justement avec « La vie d’artistes » mais revenons à  nos moutons, lions) dénotent d’ailleurs  une exigence scénaristique, une complexité, bien loin des standards caricaturaux hollywoodiens. Quelqu’un demande à Casey Affleck si c’est un avantage ou un inconvénient d’être le frère de Ben Affleck.  Il répond, visiblement agacé, que cela permet qu’on lui pose de telles questions… Probablement pour la énième fois. Puis, il répond avec humour qu’il a pu « le jeter au requin » et voir avant d’y être lui-même jeté, l’effet que cela produit. Pour l’équipe, ce film est un conte de fée, ce que reflètent les images floues et donc tordues de la réalité, comme vues par le prisme  d’un daguerréotype.  La conférence de presse s’achève et en entendant ces questions relativement banales, je ne me doute pas encore que je vais voir ce film inoubliable, captivant  et si novateur. Nous sommes enfermés dans la salle de conférence quelques minutes avant de pouvoir sortir pour que le public ne s’y engouffre pas et que Brad Pitt puisse repartir tranquillement pour se réfugier, se reposer loin des traqueurs carnassiers.

La projection au CID du Festival de Deauville : un western psychologique

D’abord il est difficile de définir ce film qui reprend certes les codes du western mais qui les détourne majestueusement. Tout comme le titre nous donne une fausse piste. Evidemment il s’agit bien de l’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Mais au final, peut-on parler d’assassinat ? Ou d’une bête traquée qui, lasse ou provocante, défie la mort ? Peut-on parler de lâcheté à propos de Robert Ford ? Ce titre, finalement très brillant et loin d’être anodin, évacue d’emblée ce que nous savons déjà parce que l’intérêt est ailleurs. Et si ce film renouvelle le genre, c’est parce qu’il instille la psychologie, aux antipodes du manichéisme habituellement érigé en principe du western.  Les héros sont aussi vulnérables.  Ils ne sont pas invincibles. C’est en effet un duel psychologique palpitant. Une lutte entre deux hommes. Une lutte interne pour chacun d’eux aussi. Robert Ford partagé entre sa vénération pour Jesse James et son désir de gloire de cet homme érigé en héros qu’il vénère autant qu’il désirerait prendre sa place.  Entre l’adoration et la haine.  Entre l’innocence, l’arrogance et  l’ambition. Finalement si proches et peut-être si indissociables. Qui peut mieux haïr que celui qui a le plus adulé. La passion est versatile dans ses excès. Jesse James  est en proie  à ses démons. Robert Ford idolâtre Jesse James. Jesse James lui demande un jour s’il veut « être lui » ou « être comme lui ». La passion, elle aussi, elle surtout,  a des raisons que la raison ne connaît pas.

Quelques plans font songer à « La prisonnière du désert » et pourtant ce film ne ressemble à aucun autre. La course des nuages que le réalisateur filme à l’envie et par lequel débute le film nous fait d’abord craindre un film caricatural. Il annonce simplement la poésie de ce film imprégné d’une lumière crépusculaire. De noirceur et de blancheur mêlées, contrastées, fascinantes. Les interprétations parfaites et même impressionnantes de Brad Pitt et Casey Affleck ajoutent à l’intensité de ce film magistral. Notre respiration est suspendue. Tout peut basculer d’un instant à l’autre. Le doute s’immisce dans les esprits. Le lion peut rugir à tout instant. Un regard qui se brouille. Une agitation inhabituelle. Rien ne lui échappe. C’est d’une intensité hitchcockienne. Voilà, c’est un western hitchcockien, un western d’auteur. Rien n’est superflu.

Ce film est l’histoire d’une légende interprétée par une autre. Un film d’une grande modernité qui renouvelle le genre. Un western qui s’appréhende comme un thriller psychologique. Une œuvre sombrement poétique et mélancolique, lyrique. Un voyage dans des âmes tourmentées et complexes. Un grand film d’une rare richesse psychologique et d’une grande beauté formelle. Qui nous parle d’un monde qui a fait d’un criminel un héros. Qui nous parle aussi du nôtre. Qui fabrique des légendes.  Des lions en cage, celle de leur âme, celle que leur fabriquent ceux qui les traquent, impitoyablement, inlassablement. Un film unique, éblouissant, qui me donne finalement l’impression d’avoir accompagné la course des nuages dans leur voyage sombrement poétique d’une beauté et d’une profondeur indicibles  et tellement magique. Un film qui vous berce, ensorcelle et hypnotise de sa lueur incomparable bien après le générique de fin. Un film à ne manquer sous aucun prétexte et que je retournerai d'ailleurs voir dès demain, et dont il n'est pas exclu que je vous reparle... départie de l'agitation et l'effervescence deauvillaise.

Remarques: -Ce film a été présenté en compétition lors de la dernière Mostra de Venise. Brad Pitt y a remporté la coupe Volpi du meilleur acteur...un prix amplement mérité.

A suivre : mon compte-rendu du 18ème Festival du Film Britannique de Dinard…avec un peu de retard !

Sandra.M