L'Intrus

Publié le 18 septembre 2011 par Gjouin @GilbertJouin

Comédie des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau
Une pièce d’Antoine Rault
Mise en scène par Christophe Lidon
Décor de Catherine Bluwal
Costumes de Claire Belloc
Avec Claude Rich, Nicolas Vaude, Jean-Claude Bouillon, Delphine Rich, Chloé Berthier
L’histoire : Henri, savant spécialiste du cerveau, croit devenir fou quand il découvre à côté de lui dans son lit un étrange jeune homme qui lui propose un pacte diabolique : une dernière jeunesse et quelques instants de bonheur en échange de sa vie…
Mon avis : Il n’y a que le théâtre qui peut nous procurer des sensations aussi intenses. Lorsqu’il y a une parfaite alchimie entre un texte intelligent, une histoire aussi audacieuse qu’intemporelle, une mise en scène ingénieuse et des comédiens au sommet de leur art, on ressent un plaisir rare.
Dans L’Intrus, tous ces ingrédients sont réunis. L’histoire d’abord… S’amuser sans vergogne à parodier Faust, s’en servir comme d’un trampoline pour donner à l’action de multiples rebonds inattendus, lui donner légèreté et apesanteur et moderniser ce thème né au 16è siècle et devenu un grand classique, c’est à un exercice de style très brillant que s’est livré là Antoine Rault. Dire que c’est très « malin » peut être lu ici dans les deux acceptions du terme, l’adjectif et le substantif. L’aspect relativement abstrait du pacte passé avec le diable est habilement gommé par la menace bien concrète qu’est la maladie d’Alzheimer qui s’introduit sournoisement dans les synapses d’un savant qui a consacré sa vie à étudier… le cerveau. C’est-t-y pas un peu tordu, ça ?
Nous suivons en permanence les questions que se pose Henri (Claude Rich), cet éminent professeur. Ses doutes, ses assurances, ses regrets… Nous sommes dans sa tête et on comprend aisément qu’il soit totalement déboussolé par l’irruption de cet Intrus dans son intimité. D’abord étranger et mystérieux, il devient de plus en plus proche de lui jusqu’à en devenir le double parfait. A la fois le jeune homme qu’il a été et sa propre conscience. C’est de la haute voltige spirituelle.
Remarquable astuce de mise en scène, la présence de miroirs amène un surcroît de confusion tout en aidant à la compréhension et en apportant parfois une dimension onirique. Dans ce jeu de miroirs, les êtres se reflètent, disparaissent, se dédoublent, le présent et le passé se confondent. On n’est déstabilisé, mais jamais perdu… Il faut également saluer l’idée de la costumière d’avoir su jouer essentiellement avec trois couleurs : le blanc et, surtout, le rouge et le noir, qui symbolisent la mort et l’enfer.
Entre Henri et son double, à la fois Méphisto et Jiminy Cricket, s’installe une relation faite d’affrontements, d’esquives, d’attirance et de répulsion. Leurs conversations – souvent carrément métaphysiques – abordent des thèmes essentiels de l’existence comme Dieu, le Diable, la peur de la mort, ce qu’il y a après. Mais il y a aussi le bilan d’une vie. L’épouse, la fille, les femmes et le travail, le travail, le travail…
Evidemment pour interpréter un jeu aussi subtil, aussi retors, il faut de sacrés comédiens, des comédiens qui sachent osciller entre réalité et rêve, qui sachent rendre concret le fil de leurs réflexions. Ils ne sont que cinq, mais ils sont tous admirables. Comme il doit être agréable de donner la réplique à deux acteurs comme Claude Rich et Nicolas Vaude. Si plus de trente ans les séparent, ils sont de la même veine. On s’apparente assez facilement du personnage de Claude Rich car on comprend sa hantise de vieillir, son angoisse devant la menace de cette épée de Damoclès qu’est la maladie d’Alzheimer, de même que l’on se projette nous aussi à l’heure du bilan de notre vie. S’est-on toujours bien comporté ? A-t-on été ou non un bon mari, un bon père. N’a-t-on pas trop tardé à dire aux gens qu’on les aimait ?... Comme d’habitude, le jeu de Claude Rich est, sans jeu de mot, d’une richesse incommensurable. Quelle finesse de jeu ! Sa voix est une douce musique qui sait faire passer tous les sentiments, tous les états d’âme. Et son œil ! Toujours éclairé d’une lueur de malice.
Quant à Nicolas Vaude, une fois de plus, il est époustouflant. Ce rôle est fait pour lui. Il y est comme un poison dans une fiole. Elfe obscur et virevoltant, manipulateur démoniaque, négociateur cynique, il est réellement… diabolique.
Au côté de ces deux seigneurs de la scène, on ne peut que louer la performance de leurs trois complices, Jean-Claude Bouillon en tête. A eux trois, ils jouent plusieurs personnages et ils y apportent une générosité telle qu’on frise la performance.
Très honnêtement, L’Intrus est une pièce d’une grande intelligence, jamais chiante et prétentieuse. On y rit énormément. Et on s’y intéresse d’autant plus qu’elle aborde des thèmes éternels qui nous concernent bigrement. Un véritable enchantement.