Le « cabot » et le politique

Publié le 19 septembre 2011 par Jlhuss

Fallait-il que DSK se livre à l'entretien télévisé que beaucoup auront regardé hier soir sur TF1 ? (record d'audience du JT depuis 2005) ... C’est la seule question présentant un réel intérêt.

A partir du moment où, avec Anne Sinclair, ils avaient répondu par l’affirmative, la suite ne réservait aucune surprise.

[la page titres du Monde]

Certes l’exercice était délicat et nécessitait le talent d’un très bon comédien. A ce titre, DSK a donné la mesure de ses capacités, mais le sur-jeu était un peu trop visible. Des mini-détails sont révélateurs : silences préparés parfois trop longs, jeux de mains avec le rapport de Cyrus Vance trop ostensibles, « je regrette » … et « j’ai fait du mal aux miens ... aux Français » trop répétés. La "relation inappropriée" est un grand moment sémantique :

"Ce qui s'est passé est non seulement une relation inappropriée, mais une faute»[...]«C'est plus grave qu'une faiblesse, c'est une faute morale dont je ne suis pas fier."

Le « j’ai manqué mon rendez-vous avec les Français » pour introduire le changement de registre et le passage décontracté à la politique, était habile : un revers de main ... Vous avez eu mon mea-culpa ... Passons aux choses sérieuses.
Sur ce plan justement, il ne reste pas neutre en dépit de dénégations superficielles.
En premier lieu il valide le fameux pacte avec Martine Aubry et sa décision, à lui DSK, antérieure aux événements, d'être candidat. Ce faisant il handicape l’ancienne première secrétaire affirmant il y a peu le contraire, la rejetant au niveau de la supplétive de service.

En ce sens François Hollande peut se frotter les mains. Candidat avant les évènements de New York et candidat en dépit de la présence escomptée de DSK à ces primaires, il endosse un costume plus sérieux, une détermination personnelle plus trempée. Cette détermination, cette volonté indépendante de l'attitude d'un autre, est importante aux yeux des Français pour une élection à la magistrature suprême.

DSK ajoute sur les épaules de Martine Aubry, l'évocation de son soutien sans faille à son égard. Pour tout dire, sans le dire, il sous entend un soutien implicite à sa "remplaçante", juste après l'avoir poignardé dans le dos.

Positif ou négatif ? Personne ne peut trancher entre l’une ou l’autre des hypothèses, mais tout le monde reconnaîtra que ce n’est pas neutre. D'autant moins que dans le même temps, il reconnaît la gravité de la crise traversée par l’Europe et le monde occidentale, persiste dans la volonté d’un devoir européen de « sauver » la Grèce et d’accepter les pertes. Il justifie les plans d’aide itératifs et pense même qu’ils sont insuffisants, pas assez rapides.  Ce à un moment ou, à tort ou à raison, une majorité de nos concitoyens ne veulent plus entendre parler de nouvelles dépenses dans cette direction.

«Il faut accepter de reconnaître qu'il faut prendre sa perte»[...]«Tout le monde doit la prendre, les États et les banques», a-t-il insisté, plaidant également pour une plus grande solidarité et une "convergence budgétaire" dans la zone euro."

DSK ne renonce pas à la vie publique. Il déclare haut et fort que les questions internationales continuent de le passionner et qu’il est toujours prêt à s’y investir, après une période de repos et de réflexion. C’est tout à fait implicite, même si les mots sont choisis : il fait des offres de service.
Décidément, ces « monstres » de la politique sont insubmersibles malgré leurs faiblesses. C’est à la fois effrayant et rassurant. Effrayant parce que la plupart des "gens normaux" ne vivent pas sur la même « planète ». Rassurant, parce que, les charges ambitionnées sont telles, qu’il vaut mieux les confier à des « durs »
A n’en pas douter DSK fait partie des « durs ».
L’acteur a été un peu « cabot » : Tout n’était que jeu de rôle. Le texte, les silences, les œillades et mouvements de paupières, tout était parfaitement répété, la « composition » un peu trop visible. Mais le politique, ne renonçant jamais même au fond du gouffre, était parfait : pour continuer à faire croire à une compétence et réserver un avenir !

La palme des commentaires reviendra, comme souvent à Jack Lang, jamais en retard :

«Dominique a parlé la langue du coeur, de la vérité et de l'intelligence. Son intervention remarquable était pleine d'émotion et de justesse. Je suis fier d'être son ami. Il a révélé une fois de plus sa haute stature intellectuelle et morale dont je n'ai personnellement jamais douté. Dominique a montré ce soir avec éclat à quel point il était un homme d’État dont nous avons été provisoirement privés par la calomnie, l'injustice et le mensonge."

Il était difficile de se priver d'une telle diatribe. Elle illustre bien le message de reconquête qu'il était convenu de faire passer.

Pou terminer par un autre aspect, celui des supporters; il n'était pas inutile de se ballader sur les forums. La teneur des commentaires était très contrastée, avec une prédominance de "ça suffit", mais on pouvait encore noter des réflexions de ce type :

"Ah ! Dominique, j'ai eu si mal pour vous, on vous a demandé de vous exprimer sur ces injustices ignobles pour lesquelles vous avez été BLANCHI, seules vos capacités politiques m'intéressent. Je voterai pour DSK, et personne d'autre au P.S. car nul ne vous arrive à la cheville.... Reposez vous et revenez vite, nous vous attendons, Anne et vous, pour diriger notre état qui a grand besoin de vous. Merci Monsieur Srauss-kahn, vous venez de nous prouver une fois de plus votre grandeur d'âme."

Ou encore :

"Je pense très fort à Anne et je lui rends un grand hommage, nous vous attendons à l'Elysée tous les 2 parce que la France vous mérite et qu'elle deviendra une grande nation, grâce à vous."

Il était impossible de les inventer ! Elles illustrent en peu de mots l'extraordinaire "inversion" des valeurs ...

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La Z'ique de Makhno:

[AgoraVox a publié cette note]