Les insectes sont nos amis, il faut les aimer aussi

Publié le 20 septembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Les insectes sont nos amis, il faut les aimer aussi

C’est grâce à l’un de mes lecteurs — que je remercie — que je suis tombé sur un de ces petits articles que la presse nationale fourgue discrètement le week-end. On y parle de coin-coins, de cot-cots, de meuh-meuhs, de petites bestioles plus ou moins charmantes, et, surtout, on y pose une question palpitante : quels droits pour ces créatures ?

Et il est vrai qu’en ces périodes de crise, où on sent nettement que le temps s’accélère, on ne prend pas assez le temps de se poser les vraies questions essentielles de la vie.

Heureusement, ce pays est merveilleux : il est rempli d’une foule d’individus qui, pas un instant, ne cèdent à la facilité de se poser, cinq minutes, et de se demander si ce qui a été fait jusqu’à présent est bon ou pas, et qui donc peuvent continuer à trottiner sans faiblir vers un horizon qu’eux seuls décident. Ce pays est génial puisqu’il a même enfanté, choyé et entretenu cette foule d’individus vibrants à l’idée d’étendre le domaine du droit vers des espaces jusqu’alors insoupçonnés.

C’est donc une enfilade de sémillants aventuriers du Droit Des Animaux que nous offre cet article qui a eu les grâces d’un grand quotidien national (et même un dossier de magazine !) nourri au bon grain des subventions étatiques. Les premiers paragraphes nous alertent ainsi sur les conditions lamentables dans lesquelles les poules pondeuses mènent à bien leur raison d’être : pendant leur courte existence, les pauvres volatiles vont pondre sans jamais pouvoir sortir de leur toute petite cage, format A4.

Mais ce n’est pas une fatalité ! Tous ensemble, nous pouvons sauver les cot-cots !

« 75 % des Français sont prêts à mettre le prix pour manger des œufs de bonne qualité, mais ils ne savent pas les reconnaître ! »

Si les Français n’étaient pas si bêtes et si près de leurs sous, ces poules pourraient gambader joyeusement et pondre en chantant. Rassurez-vous : il ne s’agit pas ici d’une campagne destinée exclusivement à améliorer le sort des gallinacées. Les associations qui luttent pour la reconnaissance des droits des animaux ont d’autres cibles, comme la fourrure, le gavage des oies, l’enfermement des cochons, des lapins et poulets, leurs conditions de transport en cage, ou l’abattage sans étourdissement.

Notez que, pour des raisons de politiquement correct et d’arrondissement des angles à la ponceuse de chantier, on ne parlera pas des égorgements rituels. Le gavage, oui. L’égorgement, non.

En attendant, les droits des animaux, c’est pas de la rigolade. C’est du sérieux, du précis, du documenté :

« Nous nous battons pour le droit des animaux : [Ainsi, les poules pondeuses] ont le droit de déployer leurs ailes, de marcher ou de se gratter. Or ces droits ne sont pas respectés. »

Voilà. Une poule, ça a ces droits-là :
1. déployer ses ailes,
2. marcher,
3. se gratter.

Caqueter, non. Mais se gratter, oui. C’est millimétré, quelque peu arbitraire et pour tout dire, pas très poétique, mais que voulez-vous, c’est ça, le droit : c’est un peu aride et il faut bien tout baliser sinon c’est la fête du slip, hein.

Et si le droit des animaux, c’est important, ce qui compte vraiment, c’est ce qui est dit dans cette courte phrase :

parmi les défenseurs des animaux, [il y a] ceux qui veulent proscrire la viande, et ceux qui souhaitent simplement bannir ce que l’exploitation animale a de scandaleux. Mais tous veulent éliminer la productivité, la rentabilité.

Méchante productivité ! Vilaine rentabilité !

Au passage, on se demande pourquoi manger des plantes, des fruits et des légumes est plus sympathique que des animaux : après tout, les fruits aussi ont des droits, non ? Il est terrible, le petit bruit de la carotte mâchée de bon matin...

Et comme par hasard, derrière nos activistes du droit des animaux à se gratter et à déployer leurs ailes, on retrouve une jolie brochette de personnes qui refusent la productivité et la rentabilité… Comme d’autres individus de certaines mouvances, bizarrement toujours dans la même tendance générale.

Sauf que cette rentabilité et cette productivité, ce sont elles qui ont permis de nourrir toujours plus de personnes dans le monde, en valeur absolue et en valeur relative.

Attention ici, ne me faites pas dire ce que je ne dis ni ne souhaite pas : non, la productivité et la rentabilité ne justifient pas des traitements dégradants sur les animaux, domestiques ou non.

D’une part, on ne joue pas avec la nourriture. C’est comme ça. Notamment parce que ça la stresse et que les toxines produites sont mauvaises pour la santé.

Mais d’autre part et plus sérieusement, le respect minimum qu’on apporte aux animaux n’est pas dû à eux-mêmes pour eux-mêmes, mais d’abord à nous, pour nous-mêmes. Si l’homme doit respecter les animaux, c’est parce qu’il a acquis cette capacité de modéliser ce que l’autre pense et ressent, et qu’il est donc capable de modéliser les sensations (désagréables notamment) des animaux qu’il utilise. Ce n’est donc pas en vertu de droits qui sont conférés aux animaux (et qui leur impliquerait automatiquement des devoirs, chose ô combien ridicule), mais pour des raisons morales ou éthiques : on ne peut aspirer à faire des hommes meilleurs, plus sujets à l’empathie envers leurs semblables s’ils ne sont pas même capables de ressentir des émotions basiques pour des êtres basiques.

Dès lors, il est logique que les habitudes sociales, la morale du groupe, façonnent des interdits enseignés dès tout petit, et qui fonctionnent plutôt bien: l’écrasante majorité des humains ne passe pas son temps à massacrer du chaton pour le plaisir. Eh oui : joie de l’anthropomorphisme, les humains supportent assez bien les autres mammifères et s’accommodent bien de la plupart des volatiles. Notez cependant qu’il n’y a que très rarement des pétitions pour réclamer des droits pour les blattes, les mygales ou les moustiques.

C’est à ce propos qu’on voit tout le ridicule de demander des droits pour les animaux (ou les plantes). On se demande aussi comment des gens a priori sensés trouvent les moyens (temps, argent) et l’énergie pour s’occuper des petites bestioles que nous mangeons, et pas, par exemple, de leurs frères humains qui, eux, ont déjà des droits, et souffrent déjà de les voir violés.

Cette critique est d’ailleurs applicable à tant d’humanistes qui passent un temps considérable à combattre des excès plus ou moins gênants sur telle ou telle espèce animale, végétale ou minérale, telle ou telle catastrophe écologique avérée ou à venir moyennant un acte de foi, tout en oubliant dans la plus naïve indifférence les atrocités que leurs congénères subissent au jour le jour et qui méritent largement leur attention.

Et avec la crise qui déboule, on se demande vraiment si l’ordre des priorités de ces personnes n’est pas inadéquat. Mais bah, je suppose que la marche rigolote vers un progrès alternatif doit bien s’adapter à ces petites anicroches, non ?
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