D’Auxerre à Vézelay : un pèlerinage bourguignon (1)

Publié le 21 septembre 2011 par Jlhuss

1 ère étape : Auxerre – Bessy sur Cure (28 km)

Le piéton ou le vététiste désireux de relier Auxerre à Vézelay n’est en rien obligé de suivre l’itinéraire que je vais décrire. L’examen attentif des cartes IGN permettra, à qui voudra, de s’inventer un autre chemin qui sera forcément le meilleur puisqu’il sera le sien. Celui que je vous propose nécessite la possession des cartes 2620 E, 2720 O, 2721 O et 2722 ET, et un équipement de randonneur moyen (le point culminant de ce parcours atteint très péniblement les trois cents mètres au dessus du niveau de la mer). Une seule recommandation, le sol est parfois glissant et les chiens hargneux. N'oubliez pas votre bourdon ou les deux bâtons télescopiques, à manche antichoc, qu’on vous a offerts pour votre anniversaire. Cette précaution prise, il est temps de rentrer dans le vif du sujet. Et de se mettre en route pour la première étape :

Aussi incroyable que cela paraisse, Auxerre est pourvue d’une gare où, par la grâce conjointe de la SNCF et de la Région, des rames siglées Bourgogne, arrivent et partent régulièrement en provenance ou à destination du reste du monde connu. Hôtels, chambres d’hôtes ou gîte d’étape, vous avez le choix de l’hébergement, comme celui de l’endroit où, en prévision de l’effort du lendemain, vous irez faire provision de sucres lents. Les horaires des trains étant ce qu’ils sont, entre le moment ou vous entrerez en possession de votre chambre et celui où vous vous mettrez les pieds sous la table vous disposerez de quelques heures. Pourquoi ne pas les occuper en vous promenant dans les rues de la vieille ville ?

Allez contempler, dans l’ancienne abbatiale Saint Germain, certaines des plus vieilles peintures murales de France. Vous joindrez l’utile à l’agréable car c’est là, au pied de la tour Saint Jean qu’est fixé le point de départ du pèlerinage. Inutile de chercher à régler votre montre sur son horloge. Elle est arrêtée depuis des décennies. Cette manie d’exposer à la vue du public des horloges dont les aiguilles restent désespérément immobiles, est une spécialité de la ville. Celle qui, à côté de la mairie, décore la Tour gaillarde a elle aussi cessé d’indiquer les phases de la lune et les heures solaires et administratives depuis belle lurette. Défaut mineur qui n’empêche pas les touristes de la photographier avec entrain son cadran et ses devises latines. Cette désinvolture dans l’entretien des appareils à mesurer le temps remonte sans doute à la grande révolte des vignerons auxerrois. La bourgeoisie locale avait voulu imposer des horaires de travail réglés par la cloche municipale, alors que de toute éternité c’est le soleil qui fixait la durée de leur journée L’affaire se régla à coups de bêches et de sabots et, temporairement, les vignerons eurent l’avantage.

[notre "objectif"]

Passons ! Et venons en à l'essentiel. Il est un peu plus ou un peu moins de huit heures du matin, l’air est pur et le vent léger. Les faucons pèlerins qui nichent sur les hauteurs de la cathédrale choisissent le pigeon de leur petit-déjeuner. Vous êtes rempli d’optimisme et de calories et c’est d’un pas à la fois ferme et rapide vous vous orientez plein sud pour descendre la première partie de la rue Cochois, avant de grimper la deuxième partie, laquelle vous amène à la hauteur de la préfecture puis de la cathédrale. Ceux qui croient au ciel, pousseront la porte du transept nord pour y faire de rapides dévotions. Les autres en levant le nez, chercheront à deviner d’où souffle le vent qui fait grincer la girouette de la tour (précaution indispensable s’ils se sont mis en marche le dimanche des Rameaux). Tous auront une petite pensée pour, au choix, Jeanne d’Arc, Bonaparte ou les volontaires marseillais de 92 qui tous, s’arrêtèrent sur la place que vous traversez en diagonale.
Quelques mètres dans la rue Fourier (inventeur des séries du même nom) et à gauche toutes pour descendre la rue Maison Fort, puis la rue Joubert jusqu’à la rue du Pont (ainsi appelée parce que, oh surprise ! si on la prend à senestre, on arrive à un pont). Mais justement, après l'avoir traversée, on tourne à droite et on la suit jusqu’aux feux tricolores du boulevard Vaulabelle sous lequel dorment les pierres des fortifications de la cité.
Engagez vous, en face dans la voie Agrippe, baptisée rue Louis Richard depuis qu’elle a été recouverte de bitume et bordée de trottoir. Suivez la jusqu’à une seconde série de feux. Ils vous permettront de franchir en sécurité, l'avenue Yver baptisée ainsi en l’honneur d’un lointain bienfaiteur de la ville. Continuez toujours tout droit sur le large bas-côté qui borde la Voie, redevenue Romaine, jusqu’à un bosquet de pins noirs d’Autriche, d’où, en vous retournant, vous aurez sur Auxerre une vue de carte postale.


Après les arbres et sur votre droite, la rue des Griottes vous mènera, en une centaine de pas au chemin de la Coulemine. Vous y trouverez les marques blanches et rouges du GR 654 et du GR 13. Elles vous guideront pendant la dizaine de kilomètres qui va suivre. Pour l’instant il vous suffit d’avancer tout droit entre Les Champs Ferré, la Justice, les Vauboulons et les Pommes Rouges. En face de vous, les coteaux de la rive droite de l’Yonne vous attendent. Vous ferez une connaissance plus intime avec eux, dans une petite heure. Pour le moment vous marchez entre champs et vergers de cerisiers jusqu’à une brusque rupture de pente. Le sentier dégringole vers le village de Vaux qu’il traverse entre église, épicerie et mairie-école (le café, est, hélas, fermé). C’est le moment de signaler aux amateurs de calendriers des postes que l’auteur d’un des plus célèbres tableaux pompiers « La fille du passeur » a pris son sujet en ces lieux.

Plus de passeur, ni de fille du passeur poussant son bac à la perche mais un pont retapé récemment par l’administration départementale. Empruntez le et, aussitôt arrivé sur l’autre rive, descendez l’escalier glissant qui vous conduira au sentier qui longe la berge. Deux kilomètres suivent avec, à tribord l'Yonne et à bâbord, une succession de constructions du genre disparate. Certaines sont équipées d’embarcadères modèles réduits. Ils servent de plateformes d’observation aux nombreux canards sauvages qui, avec les ragondins, représentent ici l’essentiel de la faune sauvage.

Un peu d’attention, vous suffira pour éviter les pièges tendus par les racines des frênes et des saules. Vous voilà arrivés dans le gros bourg de Champs sur Yonne où, je vous le dis en passant, on peut, dans les courants qui suivent le barrage, pêcher de très convenables fritures de goujons et de perchettes. Comme le monde n’est pas toujours mal fait, le GR, après vous avoir fait traverser l’ancienne Nationale 6 désormais départementalisée, vous amène dans la pointe avancée du vignoble de Saint Bris. Cette commune est la seule en Bourgogne où l’on cultive le sauvignon. Mis à part le Montagny de la côte Chalonnaise, je ne connais guère plus agréable qu’une bouteille d’un sauvignon de Saint Bris raisonnablement frais pour accompagner une friture de rivière.

A ceux qui, s’agissant d’un pèlerinage, trouveraient ce qui précède déplacé, je répondrai victorieusement ce que disaient nos ancêtres : « le Paradis n’est pas une place forte qui se prend par la famine ». Après une grimpette de quelques centaines de mètres, le GR vous amène sur le replat de Vaux Marquis. De là, entre vignes et vergers, il ondule à mi- pente au dessus de la vallée, où la rivière baguenaude entre ses pertuis. Si vous en avez le courage, quand vous passerez sous les bâtiments maintenant désertés de l’ancienne colonie de vacances des Douzein, faites un détour pour grimper sur la hauteur. De là, par temps clair on peut distinguer la colline de Vézelay.

Après la colonie, le GR traverse une petite route. Elle mène au bourg de Saint Bris (dont les aligotés ne sont pas, non plus, à dédaigner), le GR continue vers le sud. Suivez le jusqu’à une patte d’oie où vous l’abandonnerez pour prendre, sur votre gauche, le chemin qui, au dessus des Vaux Robert vous conduira par Vaupiarry et les Ceriselles au lieu-dit Le Poteau. Le comité départemental du tourisme a équipé l’endroit d’une table d’orientation. C’est assez dire qu’on y voit large et loin (sauf pluie, neige ou brouillard). Je vous laisse le plaisir de comparer le paysage et sa représentation pour attirer votre attention sur le vignoble qui s’étale à vos pieds. Si le vin blanc règne à Saint Bris, Irancy ne connaît que le rouge du pinot noir. On l'assemble, dans quelques cuvées, au césar de la côte de Palotte. La légende locale prétend que ce cépage doit son nom aux légionnaires romains qui l'auraient amené là après Alésia. Des sculptures, retrouvées dans les environs, en apporteraient la preuve. Pourquoi pas ! En ce qui me concerne je préfère le climat des Mazelots dont la gaité et la finesse outre qu’ils font merveille sur les volailles rôties (mais pas que) ont les plus heureux effets lorsqu’il s’agit de soigner le vague à l’âme et la mélancolie.
Si vous avez quitté Auxerre entre huit heures et neuf heures, vous trouverez au Poteau, tables et bancs en bois (toujours le comité départemental du tourisme) disposés aléatoirement sous des pins, certes un peu rabougris, mais dont l’ombre suffira au confort du solide casse-croûte dont vous avez eu la précaution de vous munir.
Après cette halte roborative, repartez en prenant, sur deux cents mètres la vieille route impériale. Si vous craignez de vous égarer, vous pouvez la suivre jusqu’au bourg de Cravant. Les risques d’y croiser une voiture sont minimes. Mais si vous avez l’âme aventureuse et bucolique, prenez le premier chemin sur votre droite, puis, presque immédiatement tournez à gauche et en ignorant les sentiers qui s’en vont de part et d’autre de cette piste, suivez la, en descendant plein sud. Bientôt vous allez retrouver les balises du GR. Avec un peu de chance, un chevreuil ou un lièvre vous fera certainement la surprise de débouler des taillis qui bordent les fossés.


Les rectangles rouges et blancs vont vous aider à traverser Cravant. Vous ne risquez pas de vous y perdre. Héritage du temps où la villette était la propriété des chanoines d’Auxerre, on y entre en passant sous la Tour de guette et on en sort en tutoyant le Donjon. Entre temps, on a croisé la rue des Ecossais. Cette, modeste, artère doit son nom à la mémorable dégelée qu’en l’an de grâce 1423, le Sire de Chastellux, Maréchal de Bourgogne , et Jean Régnier, Bailly d’Auxerre, infligèrent aux Armagnacs et à leurs alliés calédoniens. Les porteurs de kilt qui s’étaient un peu trop tôt, réjouis à la pensée de mettre en perce les barriques d’Irancy, de Coulanges et de Saint Bris dont la ville était pleine furent amèrement désappointés. Quant à Messieurs du Chapitre d’Auxerre reconnaissants au Maréchal d’avoir sauvé leur vin de messe et leurs bénéfices, ils le nommèrent chanoine héréditaire. Quelques siècles plus tard il en résulta une amusante anecdote que je ne raconterai pas, n’ayant, une fois de plus, que trop digressé.

A la sortie de Cravant, le GR grimpe au Plein de Bréau par Monteloup. Puis, comme il n’en est pas à une contradiction près, il descend vers le hameau des Bertreau en passant devant le seul mûrier subsistant dans la région. Suit une nouvelle et dangereuse traversée de l’ex N6. Soyez prudent ! N’oubliez pas qu’aux yeux de certains obsédés de la moyenne vous êtes des gêneurs ne valant guère plus qu’un hérisson.

Votre œil d’aigle et votre prestesse vous ont évité le sort tragique du malheureux insectivore dont les restes irrémédiablement aplatis ne peuvent même pas servir d’en-cas aux corbeaux. Suivez la petite route qui mène à Accolay. Souvenir de l’époque où les potiers locaux offraient aux cohortes de vacanciers en route pour le sud ou en revenant, des créations sur lesquelles, par patriotisme local, je ne porterai aucun jugement, on a érigé à l’entrée du village une gigantesque céramique. Ce monument peut surprendre les personnes non averties. Il est suivi d’un pont sur la Cure, et son canal latéral. On le franchit sans courir les mêmes périls que lors de la traversée de la D 66 et on suit le GR qui, après avoir effleuré un lavoir typique et deux terrains de boules, s’en va, par la Quenotte et Montacou dans le bois de Reigny qu’il traverse en suivant les méandres de la Cure.

Un coup d’œil à ce qui reste de l’abbaye de Reigny. Elle dresse sur l’autre rive de la Cure ce qui lui reste de bâtiments. Saluons ici les audacieux qui ont entrepris de la réhabiliter. Des bois encore, des prairies et vous voilà, enfin, à Bessy sur Cure, village rue qui n’est pas aussi interminable que vos jambes le pensent. Un très confortable gîte municipal vous y attend où vous pourrez vous reposer et reprendre les forces dont vous aurez besoin demain. Ceux qui croient au ciel rendrons grâce à Saint Germain dont la puissante protection s’étend sur tout son ancien diocèse et ceux qui n’y croient pas penseront à Zéphyrin Camélinat, membre de la Commune de Paris et gérant de l’Humanité, né et mort à Mailly à quelques kilomètres à l’Est. Tous, la nuit venue, pourront profiter de la discrétion de l'éclairage public pour se rassasier les yeux de milliers d'étoiles et le cœur du calme de la nuit campagnarde.

Chambolle

Sur cette photo de Vézelay prise en hélico, on devine le chemin par lequel on arrivera d'Auxerre !

(à suivre)