La sécu est « droguée à la dette »

Publié le 21 septembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Pour sortir de la crise de la dette sociale, beaucoup plus immorale que les autres, chiffrée à 136 Milliards d’euros, il est urgent de libérer le secteur de la santé de ses chaînes bureaucratiques.

Par Jean-Yves Naudet
Publié en collaboration avec l’ALEPS(*)

Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes

C’est ce que vient de déclarer Didier Migaud, Premier Président de la Cour des Comptes, ancien président socialiste de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale. : « la Sécu est droguée à la dette », la dette sociale est « un poison, une drogue ».

Nos socialistes deviendraient-ils des ultra-libéraux ? Nous entendions naguère Jacques Attali nous expliquer que le maître à penser des États, « c’est Madoff », condamnant ainsi relance et déficit…alors qu’il a passé sa vie de conseiller du prince à proposer déficits et relance. Il est dommage que ces propos n’aient pas encore trouvé leur traduction dans les programmes des candidats PS, mais sait-on jamais ?

Toujours est-il qu’à trop regarder le déficit du budget de l’État, on en aurait presque oublié dans quelle ruine se trouve la Sécurité Sociale.

Un déficit explosif, une dette sociale de 136 milliards

Le problème de la Sécu, souvent traité par J. Garello, est d’une grande complexité en France : diversité des régimes suivant les catégories sociales, confusion dans un même système monopolistique et étatique de problèmes d’assurance (retraites ou maladie) et de solidarité (famille). A la confusion des genres s’ajoute l’opacité des chiffres.

En dépit de tous les plans de sauvetage, d’économies (un par an en moyenne), la sécurité sociale selon M. Migaud « est en déficit à peu près chaque année depuis trente ans ».10,2 milliards de déficit en 2008, 20,3 milliards en 2009, 30 milliards en 2010 vient d’annoncer le Président de la Cour des comptes. « Jamais le déficit de la Sécurité Sociale n’a atteint un niveau aussi élevé qu’en 2010 », 29,8 milliards exactement pour les seuls régimes de base : « il a triplé en deux ans. La dégradation sans précédent des comptes sociaux et l’accumulation des déficits passés entretiennent une spirale de la dette sociale particulièrement dangereuse pour notre protection sociale ».

En effet, comme pour le budget de l’État, le déficit de la sécu oblige chaque année à emprunter, et les emprunts nouveaux s’ajoutant aux emprunts précédents, on obtient une dette sociale de 136 milliards fin 2010. « C’est la faute à la crise », dira-t-on : moins de production, moins de revenus, c’est moins de cotisations qui rentrent. Faux, rétorque M. Migaud : même si la crise explique une partie de l’aggravation, l’essentiel du problème est structurel, puisqu’il existe depuis 30 ans. « Revenir à l’équilibre des comptes est impératif ». Cette situation de déficit « est une spécificité française : aucun de nos grands voisins européens n’accepte de déficit durable de ses comptes sociaux ». Ce n’est pas une crise conjoncturelle, c’est un vice structurel.

Un déficit encore plus immoral que les autres

Nous laisserons là M. Migaud, qui, au delà de cette excellente analyse, demeure malgré tout socialiste et ne parle que de « maîtrise », « contrôles » « action plus forte », en vue de sauver la Sécu », telle qu’elle existe depuis la Libération.

Si le déficit est structurel, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans les structures. C’est le cas du monopole, de la bureaucratie centralisée. C’est aussi le mélange des genres. En fait les deux grands foyers de déficits sont le régime retraite et l’assurance-maladie.

Nous laisserons la question des retraites, souvent traitée dans ces colonnes, et pour laquelle nous renverrons à l’ouvrage fondamental et déterminant de Jacques Garello et Georges Lane, « Futur des retraites et retraites du futur », (IREF, Librairie de l’Université d’Aix). Tout y est dit et démontré scientifiquement.

Parlons de l’assurance-maladie, pour souligner l’immoralité profonde d’un déficit dans ce domaine. Ce déficit est couvert par une dette, qui coûte cher tout de suite, parce que les assurés doivent payer pour payer les intérêts, mais qui coûte encore plus cher à terme, car il faudra la rembourser. Elle est donc à charge des générations futures.

Certaines bonnes âmes suggèrent qu’on pourrait se dispenser de rembourser la dette sociale. Mais c’est un simple vol aux dépens des prêteurs. Mais alors Qui prêtera et à quel taux ? La question est la même que celle qui se pose pour la dette de l’État.

Si on veut rembourser le principal de la dette, qui le fera ? Ce seront nos petits-enfants qui dans trente ans rembourseront nos séjours hospitaliers ou nos médicaments d’aujourd’hui. Quoi de plus immoral que de se soigner à crédit en faisant payer la facture par nos descendants ? Ainsi l’idée même d’un déficit de l’assurance-maladie est-elle immorale.

Rester dans le système ou en changer ?

Si on reste dans le cadre actuel, il n’y a que deux pistes : augmenter les recettes ou diminuer les dépenses. L’augmentation des recettes est pratiquée depuis la création de la Sécu. G. Lane en a donné des exemples édifiants à l’Université d’été d’Aix. Il est impossible de continuer d’abord parce que nos prélèvements sont les plus élevés du monde, ensuite parce qu’augmenter les taux finit par réduire les recettes, selon l’effet Laffer, en tuant la croissance. La réduction des dépenses est très à la mode. On montre du doigt les profiteurs : finira-t-on par pendre médecins ou pharmaciens comme on le faisait joyeusement pour les boulangers pendant la révolution ? Et on rembourse de moins en moins. Mais, à quoi sert un système d’assurance qui rembourse de plus en plus mal ? Chacun peut l’observer tous les jours. Chacun peut aussi constater que les délais s’allongent, qu’il manque de personnel soignant, et que la médecine « ambulatoire » a quasiment disparu : appelez un médecin le dimanche !

Il faut donc changer de système, réformer l’assurance-maladie et le système de santé.

Le recours aux techniques de l’assurance est simple. Elles sont les mêmes pour l’incendie, le vol, l’accident, ou la maladie : tout le monde ne subit pas un sinistre en même temps, donc les assureurs peuvent fournir une protection avec un tarif raisonnable. En France, le sujet est tabou, on ne saurait contester le pacte forgé par le Conseil national de la Résistance une seule solution, le monopole public. Qu’importe le coût ou la qualité de la santé ?

Nous paierions moins cher et serions mieux soignés avec un système privé

C’est là que survient la question fondamentale. Imaginons une assurance-santé privée : « je ne pourrais jamais payer ». L’expertise d’Axel Arnoux, promoteur du salaire complet, déchire le voile. Les Français, ignorant ce que leur coûte le monopole public, ne peuvent imaginer de solution alternative. Deux exemples fournis par Axel Arnoux à l’Université d’Été d’Aix. Un ouvrier, qui touche net 1228 euros par mois (et qui coûte à son entreprise 2305-salaire complet) paie 297 euros pour le risque maladie (soit 3573 par an). Un cadre, avec un salaire net mensuel de 3152 (salaire complet 5732) paie 669 euros par mois pour couvrir le risque maladie (8033 par an). Ces chiffres ne comprennent que les cotisations versées à l’assurance maladie publique, pas les mutuelles. Et si deux personnes travaillent dans le couple, elles paient deux fois.

Croit-on sérieusement que si l’on versait ces 3573 euros, (ou 7146 pour un couple) à l’ouvrier, ou 8033 au cadre (beaucoup plus si sa femme travaille aussi), ces familles seraient incapables de trouver sur le marché une assurance-santé correcte ? Comparez aux assurances-multirisques, ou aux assurance-auto : il y a de la marge. Mais que faire si certains ne veulent pas s’assurer et seront de fait à la charge de tous ? Pour l’assurance-automobile, il y a une obligation de s’assurer « au tiers », mais chacun est libre de choisir son assureur. Les Suisses ont le choix entre une centaine d’assurances-santé. Ils ne sont ni mal soignés, ni ruinés par les cotisations, la concurrence poussant les prix vers le bas.

Reste le coût de la santé. Le système actuel crée une fausse concurrence. Les prix des médicaments sont fixés par l’État, mais c’est contre les labos qu’on proteste. Les tarifs médicaux sont fixés par la sécu, même s’il existe un secteur à honoraires libres. Ceux des autres professions de santé sont totalement étatisés. Les cliniques privées sont loin d’être libres et pour un acte identique les hôpitaux publics reçoivent plus de la sécu que les cliniques privées. La fédération des cliniques a dû porter plainte à Bruxelles contre la France pour distorsion de concurrence.

Les jeunes médecins refusent l’exercice libéral, car il est écrasé par des charges bureaucratiques, fiscales, sociales : autant être salarié et plus tranquille. Il faut donc libérer le secteur de la santé des chaînes bureaucratiques, sociales, fiscales, des monopoles. La médecine a besoin de liberté.

Est-ce réellement impensable, puisque les Français seraient mieux soignés et paieraient moins cher ? Seule l’ignorance maintient le système actuel en vie. L’urgence est donc d’abord d’ouvrir les yeux des Français.

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Sur le web.

(*) L’ALEPSprésidée par le Professeur Jacques Garello, est l’Association pour la Liberté Économique et le progrès social, fondée il y a quarante ans, sous l’autorité de Jacques Rueff, dans la tradition intellectuelle française de Jean Baptiste Say et Frédéric Bastiat.