Les États-Unis s’attaquent à la discrimination anti-chômeurs

Publié le 22 septembre 2011 par Labreche @labrecheblog

La Brèche avait abordé le sujet en mars 2010. Depuis, on ne peut pas dire que la situation a évolué : dans un marché de l’emploi déprimé, les chômeurs sont les premiers écartés par les recruteurs, au nom du concept pourtant d’employabilité, au contenu conceptuel très flou et aux implications pourtant non vérifiées. En France, du moins, rien n’a changé, car aux États-Unis, les choses avancent enfin.

Les éditorialistes imposent le sujet

Comme souvent aux États-Unis, c'est de la société civile et des médias qu'est venu l'éclairage sur une question sociale grave. En raison du décalage persistant entre offres d’emploi et demandeurs, les annonces publiées par les employeurs ont depuis le début de la crise actuelle vu se multiplier les phrases comme « No unemployed allowed » (« Chômeurs non souhaités »), « applicant must be currently employed » (« le candidat doit être actuellement employé ») et d’autres mentions identiques. Le Huffington Post, un journal en ligne de tendance libérale (« gauche »), avait évoqué la question dès le mois de mars. Mais c’est surtout à la suite d’une étude publiée par le National Employment Law Project (NELP), une ONG spécialisée dans le soutien juridique aux chômeurs, que l’attention se porte sur ce problème. Le New York Times lance publiquement le débat dans ses colonnes, par la voix de Catherine Rampell, et sur ses blogs, et questionne plusieurs personnalités sur le sujet.


Remarquant ce biais anti-chômeurs chez les recruteurs, Catherine Rampell signale d'ailleurs que la place pour la décision politique est assez réduite. Car les politiques incitatives, par exemple, ne fonctionnent pas forcément : elle rappelle ainsi qu’une subvention pour les entreprises, expérimentée dans les années 1980 et rattachée au recrutement d’un chômeur, avait finalement pour effet de focaliser la méfiance des employeurs, ainsi que le montrait Gary Burtless dans un article de 1985.

Des suites politiques rapides

La question de la discrimination anti-chômeurs a par conséquent figuré parmi les sujets les plus débattus aux États-Unis tout au long de l’été. Malgré la pression médiatique et une pétition réunissant déjà 250 000 personnes, les sites spécialisés dans les offres d’emploi refusent d’agir : Monster.com annonce ainsi au mois d’août que le site n’entend pas empêcher les mentions anti-chômeurs dans les annonces, et careerbuilder.com publie en septembre une nouvelle vague d’annonces discriminatoires. Pourtant, portée par le NELP, la mobilisation ne faiblit pas et finit par influer sur la décision politique.

Certains États ont très vite vu leurs élus s’emparer de la question. Ainsi, les deux chambres législatives du New Jersey ont adopté dès le mois d’avril une loi interdisant aux entreprises de l’État de publier (y compris sur internet) des annonces rejetant les candidatures des chômeurs, au risque d’une amende. Des projets comparables ont été déposés dans d’autres États, comme celui de New York ou le Michigan.

Au niveau fédéral, les choses ont avancé aussi. En février 2011 déjà, l’Equal Employment Opportunity Commission (une sorte d’équivalent de la Halde, spécialisé dans les discriminations sur le marché de l’emploi et sur les lieux de travail) avait examiné la question de la discrimination anti-chômeurs lors de l'une de ses audiences. Surtout, le Fair Employment Opportunity Act déposé au Congrès au début du mois d’août vise spécifiquement à interdire ces pratiques. Puis, le soutien affiché par le Président Obama le 30 août est décisif : la mesure est en effet réintégrée dans une section du projet de loi American Jobs Act (Title III, Subtitle D) présenté par Obama au Congrès le 12 septembre. Il ne reste donc plus qu’à suivre le déroulement de la procédure législative.

Et en France ?

Certes, la solution proposée n’est qu’un début ― elle n’empêche en rien le tri des candidats sur le critère du chômage, du moment que ce critère n’est pas affiché. Mais au moins le débat est-il lancé aux États-Unis. Car en France, étrangement, hormis quelques lignes dans Le Nouvel Observateur (n° 2445, 15/9/2011) relatant de façon très incomplète le débat américain, pour le moment, personne ne parle de la question. Pourtant, les pratiques discriminatoires y existent au moins autant envers les chômeurs, dans un marché de l’emploi déprimé depuis plus longtemps, avec un chômage de longue durée bien plus important. 61,6 % des chômeurs français le sont ainsi depuis plus de six mois, contre 44,5 % aux États-Unis (OCDE, chiffres 2010).
Et tant qu’aucune loi ne prohibera clairement la discrimination contre les chômeurs, aucun recours ne sera possible, pas même auprès du nouveau Défenseur des droits, la discrimination motivant la saisine devant être « prohibée par la loi ou un engagement international » (Loi organique du 29 mars 2011, article 4).

Crédits iconographiques : 1. Manifestation de chômeurs devant le City Hall de Los Angeles le 13/8/2010 © Mark Ralston/AFP/Getty Images | 2. Discours sur l'American Jobs Act (septembre 2011) DR.