Georg Petz, L’Anatomie du parasite

Par Eric Bonnargent
L’attrait du néantÉric Bonnargent

Gunter Brus, Aktion "Selbstverstummelung"

Né en 1977 à Vienne, Georg Petz s’inscrit dans la grande lignée de ses devanciers du début du XXe siècle. Héritier direct d’Arthur Schnitzler et de Franz Kafka, Georg Petz est le créateur d’un univers expressionniste, sombre et absurde. Les quatre nouvelles qui constituent ce recueil mêlent le bizarre et l’horreur. Dans « Au bout du monde », la voiture d’une jeune touriste allemande tombe en panne dans un inquiétant petit village de montagne des Asturies dont les mystérieux autochtones assistent en silence à la formation d’un épais brouillard, chargé d’organismes marins, prémisse d’une récurrente Apocalypse. « Le Monolithe » a pour narrateur un écrivain raté et alcoolique qui s’est fait livreur de journaux par incapacité à vivre le jour. La nuit, n’existent que « les animaux rampants, les amateurs d’accouplement et les créatures préhistoriques ». Parmi les animaux rampant, il y a ces vieilles femmes auxquelles il fait la lecture, une lecture bien étrange puisqu’il parasite les nouvelles pour créer de nouvelles histoires et donc une nouvelle réalité :

« Quand j’étais encore humain et que je ne voulais pas encore écrire… quand j’avais encore ma réalité à moi, que je voulais la peindre aux autres, la feindre, je me suis vite aperçu qu’au-delà de la symbolique, seul existait le monde qui était dans Le Monde. Qu’en fait, la réalité était ce sur quoi on écrivait, ce qu’on lisait ou simplement apprenait en somme, et ce qui ne se trouvait pas dans ces quelques lignes, ou entre ces lignes, n’avait pas de véritable existence. N’était pas. »


Ce qui est, c’est ce qui est écrit dans le journal, le reste n’existe pas. L’action de la nouvelle suivante, « La Profondeur des miroirs », se passe un Grèce, où le narrateur, un chercheur, est allé rejoindre son collègue et ami, Sergueï Petranov, qui a fait une bien étrange découverte : dans l’une des fenêtres de sa maison, « c’était l’histoire entière de l’humanité qui se déroulait en accéléré ». Si la curiosité intellectuelle contraindra les deux hommes à ne pas quitter des yeux le fascinant spectacle de l’histoire des hommes, de leur passé et de leur avenir, la leçon qu’il y a à en tirer est pourtant simple :

« La seule chose immuable […] était l’alternance constante d’un commencement et d’une fin et d’un recommencement, un cycle fermé sur lui-même à l’infini, et auquel seules la marche claudicante du temps et celle de l’humanité permettraient de traverser quelque chose comme une évolution linéaire et par là orientée vers un sens et un but. La voie pérenne du régrès. »Dans « L’Anatomie de l’homme », l’obsession de Georg Petz pour les formes de vie antédiluviennes culmine puisqu’une jeune fille, aussi belle que naïve, étudiante en taxidermie, va être exploitée par un conservateur de musée pervers, au point de consacrer tout son temps à empailler bénévolement des créatures de plus en plus grosses et terrifiantes, aux gueules de plus en plus menaçantes. À mesure que les créatures grossissent, il faut s’enfoncer dans les entrailles de plus en plus profondes du musée où gît le Mégalodon. Pour empailler une telle bête, il n’y a qu’une solution : pénétrer dans le monstre…Georg Petz est, après Günter Brus et Werner Kofler, un autre grand talent de la littérature autrichienne contemporaine que les éditions Absalon nous permettent de découvrir. Son univers n’est pas seulement sans espoir, chacun de ses personnages est attiré par le néant. L’Anatomie du parasite illustre à la perfection l’antique parole d’Anaximandre : « D’où les choses ont leur naissance, vers là aussi elles doivent sombrer en perdition, selon la nécessité ; car elles doivent expier et être jugées pour leur injustice, selon l’ordre du temps. »

Georg Petz, L’Anatomie du parasite. Traduit par Carine Destrumelle, Catherine Henry et Marielle Larré. Éditions Absalon. 18,50 €


Article initialement paru dans Le Magazine des Livres, Mai 2011.