Laissez faire, morbleu ! Laissez faire !!

Publié le 23 septembre 2011 par Copeau @Contrepoints

L’économie n’existe que parce que les hommes veulent vivre et cherchent inlassablement à vivre mieux demain qu’hier. Toute organisation qui nie la nature des hommes et leur volonté est vouée à l’échec.

Par George Kaplan

Laissez faire, telle devrait être la devise de toute puissance publique, depuis que le monde est civilisé… Détestable principe que celui de ne vouloir grandir que par l’abaissement de nos voisins! Il n’y a que la méchanceté et la malignité du cœur de satisfaites dans ce principe, et l’intérêt y est opposé. Laissez faire, morbleu! Laissez faire!!
(René de Voyer, Marquis d’Argenson dans ses « Mémoires »)

On raconte que vers 1680 Jean-Baptiste Colbert rencontra un groupe de commerçants lyonnais et leur demanda ce que l’État pouvait faire pour les aider à faire prospérer leurs affaires. Selon la légende, le représentant des hommes d’affaires, un certain Monsieur Le Gendre, fît une réponse toute simple au ministre : « Laissez-nous faire ».

Trois siècles plus tard, Barack Obama, président de la première puissance mondiale, se demande à son tour ce que l’État peut faire pour stimuler l’économie. En février 2009, il signait le « American Recovery and Reinvestment Act », un plan de relance de 787 milliards de dollars destiné à stimuler l’économie américaine. Mais cela n’a pas fonctionné. La Federal Reserve a fait baisser les taux d’intérêt à zéro et enchainé deux plans de « Quantitative Easing ». Mais cela n’a pas fonctionné. Alors Monsieur Obama envisage un nouveau plan de relance de 447 milliards de dollars et sa banque centrale prépare un troisième plan de « Quantitative Easing » [1] et vient de mettre en œuvre une opération de « twist » [2] pour 400 milliards de dollars.

Mais cela ne fonctionnera pas.

Depuis que l’homme est homme, il doit lutter pour sa survie. Même dans les premières communautés de chasseurs-cueilleurs, il fallait chasser et cueillir, il fallait dépecer, plumer, écosser, cuire et entretenir le feu pour vivre une journée de plus. Voilà une réalité pratique et simple, un absolu, une règle intangible qui s’est toujours imposée à notre espèce : notre survie et notre bien-être matériel dépendent de notre capacité à produire. On m’objectera que ce sont là des considérations bassement matérialistes et que le spirituel, la métaphysique ou le rapport au divin sont des occupations autrement plus enrichissantes. C’est possible, mais sans production nous sommes morts. C’est aussi simple et brutal que ça.

L’économie, du grec ancien « administration du foyer », est depuis l’origine une affaire privée. L’économie, c’est l’ensemble des moyens mis en œuvre par les hommes, les individus, leurs familles, les entreprises et les associations qu’ils forment entre eux pour assurer les conditions de leurs existences dans un monde où règne la rareté. L’économie n’a pas été décrétée par un gouvernement ni insufflée par une quelconque puissance supérieure ; elle n’existe que parce que les hommes veulent vivre et cherchent inlassablement à vivre mieux demain qu’hier. L’humain est à la fois son moyen et sa seule fin ; toute organisation qui nie la nature des hommes et leur volonté est vouée à l’échec.

Au cours des siècles, les hommes ont appris à améliorer leurs méthodes de travail. Ils se sont spécialisés, ont perfectionné leurs organisation et ont réalisé de stupéfiants progrès technologiques. Produire le plus possible et le mieux possible en utilisant le moins possible de ressources et de travail. C’est le rôle de l’esprit humain et c’est la cause de ce que nous appelons la croissance, ce processus qui permet, dans un monde fini, de créer autant de richesses que nos esprits peuvent en concevoir. En procédant par essais et erreurs ; mus par leurs propres intérêts et leur propres rêves, les hommes continuent, encore aujourd’hui, de faire tomber une à une les limites de ce monde.

Nous n’avons eu besoin ni de gouvernement, ni de lois pour produire tout ceci. Nous n’en avons pas eu besoin parce que nous étions déjà soumis aux plus impitoyables des gouvernements, la nature, et aux plus sévères de ses lois, la rareté, la nécessité et la causalité. L’économie a toujours existé indépendamment de la volonté des hommes d’État et souvent malgré elle. La seule légitimité d’un gouvernement dans cette affaire par essence privée est d’assurer le respect du droit ; c’est-à-dire de protéger nos libertés, de garantir nos propriétés et de proscrire l’usage de la violence. Le reste n’est que négation de l’économie et donc de l’humain.

Si Monsieur Obama était allé voir les hommes et les femmes qui font l’économie, il aurait compris la véritable source du mal qui frappe son pays. Il aurait appris que tous, du dirigeant de multinationale au boulanger, savent que ses plans de relance auront une fin comme ils ont eu un début. Il aurait appris que tous savent que ces plans ont été financés par de la dette publique et que cette dette publique devra, tôt ou tard, être remboursée avec leurs impôts. Il aurait appris qu’investir et embaucher sont des actes de confiance dans le futur. Il aurait appris que la Fed aura beau injecter des milliards de dollars dans l’économie et manipuler les taux d’intérêt, les entreprises n’investiront pas et les banques ne prêteront pas tant que cette confiance ne sera pas revenue. Il aurait appris, enfin, que la promesse de hausses d’impôts futurs et d’un cadre règlementaire incertain tuent cette confiance.

Si Monsieur Obama était allé voir les hommes et les femmes qui font l’économie, il saurait que l’économie n’est pas faite de grand agrégats abstraits mais d’êtres humains qui pensent, raisonnent et agissent. Il saurait que chacun de ses grands plans est voué à l’échec et ne fait que prolonger la récession de la même manière et pour les mêmes raisons que le New Deal de Franklin D. Roosevelt a échoué et prolongé la Grande Dépression des années 1930. Il saurait, enfin, que la réponse de l’économie n’a pas changée depuis Colbert et, à vrai dire, depuis la nuit des temps.

« Laissez faire, morbleu ! Laissez faire !! »

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Notes :
[1] Certains estiment même qu’il a déjà commencé en catimini.
[2] Politique d’aplatissements de la courbe des taux qui consiste à revendre des obligations d’État à court terme pour racheter des obligations d’État à long terme.