Nouvelles en trois lignes, de Félix Fénéon

Par Jean-Jacques Nuel

Félix Fénéon (1861-1944) a créé en 1906 dans le journal Le Matin une rubrique intitulée Nouvelles en trois lignes qui fut vite célèbre. S’inspirant de faits-divers réels, il les réécrivait de manière à en faire ressortir la cruauté ou le comique, dans une mécanique implacable.

Régine Detambel a préfacé un choix de ces nouvelles paru en 1997 au Mercure de France. A titre d’exemples, j’en reproduis une dizaine, ciselées comme des aphorismes, qui apparaissent comme des bijoux d’humour noir dans un monde où toutes les morts sont égales et absurdes.

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Rattrapé par un tramway qui venait de le lancer à dix mètres, l’herboriste Jean Désille, de Vanves, a été coupé en deux.

M. Abel Bonnard, de Villeneuve-Saint-Georges, qui jouait au billard, s’est crevé l’œil gauche en tombant sur sa queue.

Le Dunkerquois Scheid a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère : le coup porta.

De trouver pendu son fils Hyacinthe, 69 ans, Mme Ranvier, de Bussy-Saint-Georges, fut si déprimée qu’elle ne put couper la corde.

Comme son train stoppait, Mme Parlucy, de Nanterre, ouvrit, se pencha. Passa un express qui brisa la tête et la portière.

Une machine à battre happa Mme Peccavi, de Mercy-le-Haut (M.-et-M.). On démonta celle-là pour dégager celle-ci. Morte.

C’est au cochonnet que l’apoplexie a terrassé M. André, 75 ans, de Levallois. Sa boule roulait encore qu’il n’était déjà plus.

Rue de Flandre, Marcel Baurot, et cette quintuple amputation lui fut mortelle, a eu les doigts coupés par une scie circulaire.

Le soir, Blandine Guérin, de Vaucé (Sarthe), se dévêtit dans l’escalier et, nue comme un mur d’école, alla se noyer au puits.

Mlle Paulin, des Mureaux, 46 ans, a été saccagée, à 9 heures du soir, par un satyre (22 ans, trapu, chapeau mou sur visage ovale).

Pour la cinquième fois, Cuvillier, poissonnier à Marines, s’est empoisonné, et, cette fois, c’est définitif.

Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, Mercure de France.