Tu seras un homme, mon fils

Publié le 17 avril 2007 par Ellie Page
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie   Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,   Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties   Sans un geste et sans un soupir,   Si tu peux être amant sans être fou d’amour ;   Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre   Et , te sentant haï, sans haïr à ton tour,   Pourtant lutter et te défendre ;  

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles

Travesties par des gueux pour exciter des sots,

Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles,

Sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,

Si tu peux rester peuple en conseillant les Rois

Et si tu peux aimer tous tes amis en frères,

Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,

Sans jamais devenir sceptique ou destructeur

Rêver, sans laisser ton rêve être ton maître,

Penser, sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,

Si tu peux être brave et jamais imprudent,

Si tu peux être bon, si tu sais être sage,

Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer triomphe après défaite

Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,

Si tu peux conserver ton courage et ta tête

Quand tous les autres les perdront ;

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire

Seront à tout jamais tes esclaves soumis

Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,

Tu seras un Homme, mon fils.

Rudyard KIPLING