3 secondes de Marc-Antoine Mathieu

Par Emyrky

Ça y est j’ai enfin lu 3 secondes de Marc Antoine Mathieu!

3 secondes – Marc-Antoine Mathieu

J’aimais déjà beaucoup l’auteur que j’avais rencontré lors du festival Trait Portrait à Mazé, pour la bande dessinée Dieu en Personne, BD très dense, philosophique, drôle et complexe à la fois, au graphisme très agréable! Comme je le lui avait dit je ne pense pas l’avoir assez relu pour en avoir compris toutes les subtilités! L’auteur est vraiment très ouvert et accessible, donc c’était très agréable.

C’est pourquoi j’attendais son prochain album avec impatience, lorsque j’ai entendu parler de son concept de BD, j’étais très intriguée! D’une part par la pluralité des supports (numérique et papier) puis par le sujet de la bande dessinée.

Le résumé éditeur indiquait : « 3 secondes, le temps pour la lumière de parcourir 900 000 kilomètres, le temps d’un coup de feu, d’une larme, d’un SMS, d’une explosion… Observer les détails, enquêter d’une scène à l’autre permet de reconstituer les angles morts et de récolter les indices sur ce qui relie les personnages et les motive. Affaires, crimes, complot… À chacun de se faire sa propre idée. Bonne investigation. »

Pour ceux qui ne l’ont pas vu, voici la bande annonce.

Je trouvais le concept osé, 3 secondes c’est quand même court, d’accord dans le monde il peut se passer beaucoup de choses en 3 secondes, mais raconter une histoire, avec une intrigue, et les indices suffisant pour comprendre cette histoire? ça me paraissait un peu fou! Ou alors la bande dessiné fait 20 pages.

Et bien non, Marc-Antoine Mathieu excelle dans son exercice de style avec brio. L’album carré comporte 72 pages, et sur chacune de ces pages 3 x 3 cases sont présentes. Le tout en noir et blanc, graphisme parfois très épuré parfois très détaillé, cela est très fluide. L’intrigue est accrocheuse, les personnages nombreux et les détails foisonnent!

Je me demandais comment il était possible de zoomer à l’infini en réussissant à amener de nouveaux personnages dans l’intrigue, la réponse était simple (une fois qu’on y pense!) il suffisait de faire intervenir des miroirs dans chaque scène, permettant ensuite de zoomer à l’intérieur de ce miroir, ainsi on peut voyager dans toutes les directions, sans cesser de zoomer!

En lisant la version papier, j’ai donc d’abords été épatée par les « stratagèmes » utilisés par Marc-Antoine Mathieu pour faire passer les différents plans de manière très fluide, les différents miroirs utilisés, dans chaque scène, il en trouve toujours un auquel on ne s’attend pas forcément qui permet de faire rebondir l’histoire (miroir, montre, coupe, lustre, cuillère, boucle d’oreille…), d’ailleurs à la première lecture c’est une des choses que j’essayais de trouver avant de passer à la case suivante qu’elle sera le miroir! il est très fort !

Le nombre de cases pour illustrer un zoom me semble approprié, on cherche chaque détail en passant à la case suivante qui zoome un peu plus sur la séquence que l’on suit, pour essayer de mieux comprendre.

extrait : 3 secondes – Marc-Antoine Mathieu – Illustration des zooms par les jeux de miroirs (lunettes, boucle d’oreille…)

L’avantage est qu’il n’y a aucun texte permettant de rythmer notre lecture, tout est dicté par notre capacité à nous attarder sur les détails.

Personnellement j’ai dû me faire violence, car je savais que chaque détail est important dans cette histoire. Mais de base j’ai tendance à me concentrer sur le scénario écrit (les dialogues) plus que sur les illustrations, bien que je prenne de plus en plus plaisir à m’attarder sur les différents illustrations de mes scénaristes/dessinateurs préférés. (En lisant le journal de Spirou j’étais toujours épatée dans « le courrier des lecteurs » de voir que certaines personnes repéraient des détails infimes dans nombreuses séries de mes dessinateurs préférés, et à chaque fois je m’en voulais de ne pas les avoir vu moi aussi !)

En lisant la version numérique (http://www.editions-delcourt.fr/3s) je me suis d’abord dit, mais c’est carrément plus fluide en numérique ! Mais après quelques minutes de lecture numérique, je me suis rendue compte qu’en fait la version papier permet de soi-même décider du temps à accorder à chaque case, sans intervention des mains, seuls les yeux sont maitres du récit, ce qui est vraiment bien. De plus avec la version papier si l’on a un doute où que l’on veut vérifier la position de tel personnage, ou tel miroir, a un moment du récit alors que l’on est beaucoup plus avancé dans le récit, c’est possible sans perdre le fil. On peut visualiser plusieurs cases très facilement, très rapidement. Alors qu’en version numérique c’est beaucoup plus délicat, il faut déplacer le curseur à l’endroit où l’on souhaite aller et le re-déplacer ensuite.
Ce que je trouve très bien sur la version numérique c’est les possibilités données au temps, on peut l’accélérer, le ralentir, le faire reculer, et les différents plans s’enchainent merveilleusement bien. (Au ralenti il y a quand même quelques « défauts » des plans qui sont flous dû à un micro décalage en hauteur ou largeur des zooms, mais à une vitesse classique cela ne se voit pas et même au ralenti ce n’est pas gênant pour la lecture.)

L’avantage de l’histoire c’est qu’elle est très dense malgré ses 3 secondes réelles. Il y a beaucoup de personnages ayant tous un lien entre eux je suppose, je ne les ai pas encore tous trouvés ! Et cela permet de pouvoir relire l’histoire de très nombreuses fois pour pouvoir découvrir un nouveau détail !

Au début de l’histoire, il y a des éléments que l’on pensait évident, qui finalement au fil des jeux de miroir dévoilent une autre réalité. Chacun des éléments, au début nous paraissent n’avoir aucun sens avec le reste de l’histoire (le passant, l’avion, le dentiste) mais au final on se rend compte que chaque détail est important et que tout est lié. Je n’en suis qu’à ma troisième lecture et n’ai pas encore tout reconstitué. Il y a aussi des éléments dont j’ai l’impression qu’ils n’ont pas de rapports avec l’histoire (le gars avec le miroir à l’entrée de la galerie, pourquoi a-t-il un miroir, que fait-il là?). Je n’ai pas lu non plus les journaux écrits à l’envers, j’imagine qu’ils sont importants pour l’histoire mais n’ai pas de miroirs sous la main pour les déchiffrer ! (Pour ceux qui les ont lu permettent-ils de comprendre beaucoup de détails de l’histoire ?).

Bref tout cela pour dire que je pense que l’on peut passer de très nombreuses heures à lire et relire cette histoire, personnellement ma deuxième lecture je l’ai faite en parallèle entre la version numérique et papier, à me repasser certaines cases papiers, à remonter le temps ou le faire défiler très lentement! Et c’est vraiment une très surprenante et agréable expérience de lecture. Pour la première fois d’ailleurs, j’ai aussi pris un papier et un crayon pour noter les différents plans (avec personnages, lieux, liens).

La critique négative serait donc, que si l’on souhaite juste lire une bande dessinée pour se détendre sans réfléchir, 3 secondes n’est pas adaptée Mais si vous souhaitez passer un bon moment de lecture, avec un graphisme soigné, une intrigue poignante, qui ne dure pas qu’une demi-heure, foncez!

Bref une fois de plus Marc-Antoine Mathieu nous transporte dans son univers, il nous tient en haleine et nous oblige à nous replonger maintes fois dans son album pour en comprendre tous les tenants et aboutissants !

Enfin il fait le pari délicat de réussir une œuvre papier et une œuvre numérique, sans que l’une puisse (à mon sens) se passer de l’autre, et le tout pour une quinzaine d’euros seulement !

Pour conclure (car je pourrais continuer longtemps sinon!) c’est typiquement le genre d’album sur lequel j’ai envie de discuter avec des amateurs l’ayant lu ! Je pense qu’il y aurait beaucoup à dire et à partager sur les détails de l’histoire.
Des fans de cinéma ou séries policières devraient également y trouver leur compte Je ne suis pas assez calée en cinéma pour l’affirmer, mais je pense que cette BD pourrait être critiquée par un expert cinématographique, tant sur le fond que la forme : les plans, les séquences, les personnages, les liens entre les différents éléments…

PS : Un grand merci à Babelio, qui m’a permis de critiquer cette Bande Dessinée aussi vite un résumé de ma critique sur leur site