Une aventure parisienne

Publié le 30 septembre 2011 par Dubruel

D'après Maupassant

Elle avait vécu en province jusqu’ici

Sans avoir rien connu de la vie

Sinon ces occupations régulières

Qui constituent le bonheur des ménagères.

Elle voulut donc monter à Paris

Où elle se fit inviter par des amis.

Dans une boutique parisienne,

Elle vit toutes sortes de porcelaines.

Elle entendit le marchand

Dire à un monsieur élégant :

-Hier, j’ai vendu à M. Alexandre Dumas

Deux vases de Chine. Et si M. Zola

Voyait ce pique-fleurs,

Il s’en portrait acquéreur.

Elle s’approcha :-Vous êtes bien achalandé.

J’ai vu Monsieur regarder

Cette bien jolie statuette.

Il n’y a pas d’étiquette.

Quel est son prix ?

Le marchand répliqua surpris :

-Quinze cent francs.

-Je la prends.

Une femme qui

Peut mettre un tel prix

N’est pas la première venue.

Le dandy se retourna,

La regarda, la détailla.

Elle avait reconnu

Jean M., écrivain réputé

-Je l’ai achetée parce qu’elle vous plaisait

L’homme sourit, visiblement flatté :

-Vous me connaissez ?

Elle lui dit toute son admiration.

Parler à une personne aussi importante

Lui donnait une grande satisfaction.

Elle cita ses œuvres, fut éloquente.

-Permettez-moi de vous offrir

Cette statuette en souvenir

D’une femme qui vous admire passionnément

Et que vous n’aurez vu juste qu’un instant.

Il refusa. Elle insista

Il résista.

Alors, elle demanda au vendeur

L’adresse du célèbre auteur

-Je vais vous la livrer de ce pas !

Il la rattrapa.

Dans le fiacre, il s’assit à son côté

Elle continuait d’insister.

Il refusait toujours le cadeau.

Alors, elle proposa bientôt :

Je vais vous le laisser

Si vous obéissez

À toutes mes volontés.

La condition de l’entêtée

L’amusa tant qu’il accepta.

-À cette heure-ci que faites-vous ?

-Je me promène, et vous ?

-Alors…au Bois ! Ils partirent. Le soir tomba.

-À cette heure, que faites-vous ?

-Je prends l’absinthe.

Et vous ?

-Allons prendre l’absinthe !

Au Café du Lac ils entrèrent.

Il y rencontra des confrères.

Il les lui présenta.

Le temps passait ; elle demanda :

-Est-ce l’heure de votre dîner ?

Si oui, allons dîner !

Ils dînèrent. –Et après, que faites-vous ?

-Je vais parfois au théâtre,

J’avoue.

-Eh bien, allons au théâtre !

La représentation finie, elle dit :

-Que faites-vous à cette heure-ci ?

-Mais…mais…je rentre chez moi.

Elle fut prise d’un certain émoi

Mais se reprit :-Allons chez vous !

Elle voulait aller jusqu’au bout.

Arrivés, elle se déshabilla,

Se glissa

Dans le lit

Et attendit.

Mais lui n’ayant pas saisi

S’endormit.

À l’aube, il s’éveilla :

-Pourquoi avez-vous fait tout ça ?

Je n’ai pas compris.

Elle répondit doucement :

-J’ai voulu connaître la vie,

Tout simplement… !

Connais le monde, et sais le tolérer

Pour en jouir, il le faut effleurer.

Voltaire