Avènement des primaires, mort des partis ?

Publié le 30 septembre 2011 par Variae

Pour l’instant, et contrairement aux craintes que l’on pouvait avoir à leur égard, les primaires citoyennes sont un franc succès. Qui aurait pu affirmer avec confiance, il y a encore quelques mois, qu’elles pourraient attirer 5 millions de Français devant leur poste de télévision ? Qui aurait pu penser qu’elles résisteraient à l’injonction médiatique du clash et qu’elles deviendraient une démonstration d’unité de 6 personnalités de gauche, au moment où la sarkocratie se lézarde et se divise? Certes, l’organisation est encore loin d’être parfaite, et il faudra attendre l’épreuve des urnes – et le taux de participation – pour porter un jugement mieux étayé sur ce jeune processus, mais le spectre du bide ou du flop est déjà en bonne partie éloigné.

 

Pourtant – ou peut-être à cause de cela – on trouve un certain nombre de personnalités et de militants, à gauche, et plus précisément à ce qu’il convient d’appeler « la gauche de la gauche », pour critiquer durement le principe même des primaires. Leur argumentation, citant fréquemment un récent ouvrage de Rémi Lefebvre, est la suivante : oui, les primaires sont un processus d‘ouverture à la « société civile » ; mais elles ne seraient qu’une vague rustine sur un parti socialiste incapable autrement, faute de rénovation, d’attirer à lui le pays et notamment les classes populaires. Les primaires ne seraient donc qu’en apparence un succès politique : elles consacreraient en réalité au contraire la mort de la politique structurée, militante, « conscientisée », et l’avènement d’une vague démocratie d’opinion où les citoyens, mal informés, grossièrement au courant de quelques idées, vont valider dans les urnes socialistes le candidat choisi par les sondages ou par les médias.

Cette critique rejoint un certain nombre d’interrogations que j’ai déjà pu avoir sur Variae, notamment sur le rôle et la fonction des militants dans un parti donnant désormais la part belle aux sympathisants non encartés. Pour autant, elle a un défaut majeur : elle se conjugue au conditionnel hypothétique, et vit dans la nostalgie d’un militantisme n’ayant hélas existé, dans la période récente, que dans l’imagination que ceux qui le prônent et le défendent.

C’est en effet un beau conte qui nous est raconté ici : celui du militant politique formé, éduqué, ayant fait de l’engagement politique un choix de vie et ne prenant des décisions – notamment en matière de choix de candidat – qu’après mure et instruite réflexion. Ce militant, totalement rationnel, est arrivé là où il en est grâce à un long parcours personnel parsemé de collages d’ affiches et d’échelons politiques à gravir lentement ; il a enfin gagné le droit de payer sa cotisation et de choisir, honneur ultime, le candidat de son parti. Son bagage intellectuel et politique le protège des aléas de « l’opinion » et lui permet de décider en toute conscience et pleine responsabilité. Mieux encore, ce militant n’est pas isolé : il est membre d’un parti de masse, patiemment construit, regroupant des centaines de milliers de ses semblables et à même de faire basculer la société, contre la presse et les puissances d’argent.

Cette description vous a fait soupirer d’aise, voir verser une petite larme ? Bravo : vous êtes comme moi, un romantique de l’engagement militant. Mais la réalité a des raisons que le romantisme ne connait pas. La réalité : celle, en France, de partis politiques qui peinent à atteindre ne serait-ce que la barre fatidique des 200 000 militants, ou alors seulement au moment des campagnes présidentielles ; celle de la société de consommation et du virtuel, où les sollicitations sont nombreuses et où on trouve la colle à affiche décidément bien salissante ; celle, encore, de la méfiance envers la politique et de l’effondrement des grandes idéologies.

Face à ce constat, on peut, il est vrai, avoir deux types de réaction. La première : qu’à cela ne tienne, nageons à contre-courant et imposons notre logique ! Donc partis politiques fermés, exigeants, organisés verticalement et se méfiant de tout ce qui sort du schéma canonique de l’activisme militant. La seconde : soyons un peu plus rusés, ouvrons largement les écoutilles en nous pliant aux us et coutumes de l’époque, et laissons les gens venir à nous avant de les intégrer, éventuellement, dans un circuit militant plus traditionnel.

Peut-être la première option est-elle plus belle sur le papier. Mais je n’ai pas vu que les formations qui la prônent, comme le Parti de gauche ou les partis trotskystes, aient été capables de se transformer en partis de masse à la seule force de leurs petits bras. Plus problématique encore, la logique de l’élitisme militant ou de l’avant-garde éclairée du prolétariat (puisque c’est bien de cela qu’il s’agit) ne connaît pas de limite ou de mesure : n’entendait-on pas Jean-Luc Mélenchon, en 2006, pester contre les honteux adhérents à 20 euros, parce qu’ils n’avaient pas fait assez d’efforts pour devenir militants ? A ce jeu-là, on se retrouve vite dans une logique malthusienne de cooptation et d’épuration, qui rend de facto inatteignable l’objectif rêvé du « parti de masse ».

A contrario, les primaires ne conduisent pas nécessairement à la dissolution des partis, bien au contraire, même. Je connais plus d’un ancien « 20 euros » de 2006 qui, profitant de la main tendue alors par le PS, et alors que rien ne l’y prédisposait, est devenu un militant parfaitement actif et intégré au sein du parti. La première édition des primaires citoyennes peut avoir le même effet, au centuple. Si ne serait-ce qu’un million de personnes y participait, elles augmenteraient déjà considérablement le nombre de Français en contact avec le Parti socialiste. Et il est aussi faux que méprisant de dire que celles et ceux qui vont voter les 9 et 16 octobre sont des moutons manipulés par les médias. Je n’appelle pas « moutons » les 5 millions de Français qui sont prêts à sacrifier une soirée pour suivre un débat pas forcément très glamour entre des candidats à l’investiture PS-PRG. Il se passe quelque chose avec ces primaires, chacun peut le voir, je crois, dans son entourage, et c’est peut-être bien cela qui dérange les déclinistes et les Cassandre, qui donnent parfois le sentiment de prôner l’élitisme militant pour mieux rester dans leur entre-soi confortable et rassurant.

Les primaires posent deux questions : comment redéfinir le rôle du militant « de plein droit », et comment transformer l’essai pour aider les participants au scrutin à franchir le pas d’un engagement plus suivi et régulier ? Mais le simple fait que l’on puisse poser ces questions est déjà le signe d’un bouleversement politique qui vaut la peine d’être assumé, et joué, jusqu’au bout.

Romain Pigenel