Un Nobel arabe politiquement correct ? Epargnez aux Arabes un tel soutien !

Publié le 02 octobre 2011 par Gonzo

On a envie de paraphraser la belle formule employée vers la fin du mois de mai dernier par trois intellectuels syriens exhortant Bernard-Henri Lévy, au regard de ses antécédents vis-à-vis de la question palestinienne, à bien vouloir s’abstenir de toute intervention sur ce qui se passe dans leur pays… Elle pourrait en effet très bien convenir aux jurés de l’académie suédoise dont on dit que les choix pourraient, dans quelques jour, consacrer une figure arabe !

Pour le prix Nobel de la paix, remis le 7 octobre prochain, on parle ainsi soit de l’Égyptienne Esraa Abdel-Fattah (إسراء عبد الفتاح, évoquée dans ce lointain billet), une des militantes du Mouvement du 6 avril, organisation au cœur des mobilisations qui ont conduit au renversement de Moubarak, soit de la Tunisienne Lina Ben Mhenni (لينا بن مهني une universitaire de 26 ans dont le blog a déjà été distingué en juin dernier par les très reconnus BOBs Awards, organisés par le Deutsche Welle Global Media Forum. Dans les deux cas, les médias nous expliquent qu’il s’agit de saluer à la fois la contribution des médias sociaux et celle de femmes militantes du Printemps arabe©.

Une « brillante idée », naturellement ? Pas si sûr si l’intention est bien d’apporter un soutien explicite à des « musulmanes modérées ». Nonobstant le fait que l’Égyptienne qui serait retenue pour le prix s’obstine à porter un foulard de tête bien inquiétant pour ceux qui croient que c’est un premier pas vers la « burqa intégrale » comme on dit aujourd’hui en France, on peut facilement imaginer que l’octroi d’un prix aussi prestigieux va susciter bien des envies… Autrement plus grave est le fait que, dans le contexte actuel, une telle reconnaissance risque fort de conforter dans leur point de vue tous ceux qui s’interrogent sur la soudaine sollicitude des nations les plus riches vis-à-vis du monde arabe, et qui voient, à l’image de ce qui s’est passé en Libye sur le terrain militaire, une grossière ingérence étrangère sous couvert de nouveaux médias et de soutien à la liberté d’expression.

Quel que soit le crédit qu’on accorde à une telle argumentation, il faut bien reconnaître que le seul fait qu’on mentionne également, toujours pour le prix Nobel de la paix, le nom de Waël Ghoneim donne du grain à moudre à ceux qui pensent que l’employé de Google, le géant américain de l’internet, est sans doute une icône médiatique parfaite, non pas pour les Arabes mais pour l’« Occident » (à qui il destine d’ailleurs ses Mémoires de combat qui seront publiés par un éditeur américain).

De quoi conforter dans leur opinion des analystes tels que Rabab el-Mahdi, professeure de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, qui lisent ce nouveau narrative élaboré à l’occasion du soulèvement arabe comme une manière de reconnaître une certaine opposition pour mieux ôter toute légitimité à tout ce qui serait trop violemment barbu et trop éloigné des « bons » critères de la modernité politique ! (Voir le texte, en anglais, cité dans ce précédent billet.) D’ailleurs, en 1988 déjà, lorsque le Nobel de littérature avait été décerné au romancier égyptien Naguib Mahfouz, certains avaient estimé que cette reconnaissance de la fiction arabe moderne venait bien trop tard. En ne mentionnant que ses textes les plus traditionnels et les moins susceptibles de faire entendre la spécificité de la narration arabe (il est vrai qu’il n’y avait guère de traductions à cette époque…), le prix consacrait enfin un auteur, devenu acceptable sur le plan international dès lors qu’il s’était associé au traité de paix voulu par Anouar El-Sadate, mais violemment refusé par une très grande partie de l’opinion non seulement égyptienne mais arabe.

Un rendez-vous raté en somme, qui pourrait bien se répéter. Car pour ce qui est de l’autre prix qui, selon les experts, pourrait bien aller à un Arabe, là c’est vraiment de la dynamite comme aurait pu dire Alfred Nobel ! « Il est temps de couronner un poète du Proche-Orient », se murmure-t-il ainsi dans les couloirs feutrés où se font les prix internationaux. Déjà, on aimerait qu’un prix aussi important ne vienne pas enfoncer des portes désormais ouvertes grâce au combat des manifestants arabes ! On aurait ainsi aimé qu’une telle idée ait germé dans des esprits moins frileux, par exemple lorsque Mahmoud Darwich était encore vivant… Mais il y a peu encore, le monde arabe était fort peu à la mode et la voix de la résistance palestinienne – pourtant traduite dans une multitude de langues – ne suscitait visiblement pas de bons échos !

Et surtout, s’il est bien vrai que l’idée du jour est de récompenser l’œuvre sans nul doute importante de cet autre poète qu’est le « Libanais syrien de naissance » Adonis, il s’agit ni plus ni moins d’un contresens tragique ! Passons sur le fait qu’Adonis a déjà été fort bien récompensé (il vient encore de remporter le très prestigieux prix Goethe en juin dernier)… Mais que cette incarnation, aujourd’hui fort âgée, d’une certaine forme d’opportunisme intellectuel passe pur un authentique représentant de la jeunesse révolutionnaire arabe, au prétexte qu’il a fini, des mois après le début des événements qui font tellement de victimes dans son pays natal, par publier une filandreuse lettre ouverte au président syrien (voir ce billet), c’est vraiment user du politiquement correct pour insulter la mémoire des vrais résistants arabes.

Messieurs du Nobel, de grâce, épargnez aux Arabes un tel soutien !