Texte d'Umar TIMOL (Île Maurice).

Par Ananda

Alors que tu obéis à l’impulsion des mots, alors que cette onde envahit toutes tes veines, alors que tu te crois créateur, tu as le sentiment que tous les hommes attendent la naissance de ta progéniture, qu’ils en ont besoin, qu’ils la célèbreront et qu’ils l’aimeront. Mais ils s’en moquent complètement, de cette créature, de chair et de papier, cela ne leur dit rien, toutes tes culbutes de la séduction, ton narcissisme de bon aloi, tes nuits à ouvrager la parole, cela ne leur dit rien, ils n’en ont rien à foutre. Et le narcisse en toi a envie de leur dire que ce n’est pas cette poésie qui sanctifie l’ordinaire, que tu as tout pouvoir de destruction et de résurrection, que tu as beau ne pas être de cette langue mais que tu sais mieux l’enlacer que la maitresse la plus hargneuse, que ce sont des mots comme les autres mais que tu sais les agencer pour en faire une étrange divinité, qui se meurt de ne pas avoir de disciples. Puis le narcisse fait sa mue, il se retire dans tes entrailles et c’est l’autre, effaré de tant de violence, intimidé d’être, qui monte sur scène. Et que dit cet autre ? Qu’il aime mieux, à l’exception de ces trois êtres qui sont son absolu, les livres que les hommes, qu’il aime mieux les mots que les hommes même s’il est en quête de leur approbation, de leurs vivats, qu’il préfère le silence a la parole fourbe même s’il lui plait de déclamer les réclames de son esprit qu’il croit si fin, si amusant, qu’il a peur des autres parce qu’il perçoit trop facilement le monstre sous le vernis de la politesse mais qu’il ne peut s’empêcher de les désirer, qu’il est coupable de trop aimer la beauté alors qu’il sait qu’elle est l’esclave de la gouverne des illusions, qu’il est sous l’emprise de tous les fanatismes alors qu’il croit en si peu, que l’écriture n’est qu’un vain défi a la mort mais qu’il ne cessera d’écrire, encore et encore. Et il sait que tous les hommes sont ainsi, engourdis par le trop grand silence d’un corps qui se sait éphémère, par une vie pourfendue de trop de malentendus, ils creusent dans le sillon du temps une quelconque transcendance, amour, cruauté ou pouvoir, peu importe, il leur faut ce sens pour oublier, pour s’oublier, tout oublier.

 Quant à lui, il a choisi les mots, est-il pire ou meilleur que les autres ?

 Le narcisse proclamera sa nécessité au monde, l’autre, humble et qui hésite à être, dira qu’il n’est rien ou pas grand-chose.

 Les mots seuls lui souffleront un jour la réponse.

Umar Timol