Dieu existe de Yves Jouan (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

 
On connaît, ou il serait bon de découvrir Ficelle, cette revue / plaquette, insubmersible et libre, que Vincent Rougier anime avec une persistance et une ténacité qui rappellent une manière d’éditer proche de celle des amis Jean Marcourel ou Michel Anseaume. Dans ce n°104, Vincent Rougier accompagne de ses gravures un poème d’Yves Jouan : Dieu existe. Voilà un titre dont la qualité d’accroche ne fait pas de doute en ces temps de recherches spirituelles ou sectaires, exacerbées par le chaos régnant « sur toutes faces de ce monde ». 
Mais le titre provocateur d’Yves Jouan ne vise aucune quête d’ordre religieux ; il suffit pour s’en convaincre de lire ses livres précédents, par exemple Juste là (chez Dumerchez, en 2006). Par contre, il y a bien recherche d’une paix intérieure, d’un accord entre vie et monde, malgré vivre et malgré monde. C’est à ce point que le figuier, ou la baie de Somme, ou une simple pierre peuvent devenir des intermédiaires vers une sorte de mystique athée. On repense à Nerval dans Myrtho : « Ils reviendront ces dieux que tu pleures toujours ! » Cela donne chez Yves Jouan une sorte de métaphysique pacifiée, vide de divin autant que profonde en ce qu’elle indique : « Dieu existe. Et Demeter.// Et le Temps qui prend / sa part des choses / et la leur donne// Et la Vouivre avec / son besoin d’instinct, d’instant, / et la tristesse de son éternité. » 
Métaphysique d’un pur rapport, ou communion, à ce qui est : la mer, le sol, la pierre, l’arbre… « Dieu existe. // Un soir, sous le figuier, / je l’ai vu, adossé que j’étais à la Terre. » On notera la dernière majuscule. 
Dans un poème antérieur, Sous la dictée (in Ficelle, n°100), Yves Jouan écrivait déjà : « Quand je regarde une pierre, quand je la prends je sais / que d’elle à moi se met en acte / un langage sans mots / une parole sans détours (…) Il n’y a / que des- / enserrement des choses / et de l’être / respiration  ». On voit bien que ce qui est visé, c’est une expérience profonde d’exister, de participer à la réalité naturelle : un être-là parmi les choses, dans le temps autre de l’arbre ou du caillou, avant la pensée ou au-delà de la pensée, sans que celle-ci soit interdite : simplement elle n’est pas le moteur du poème. Celui-ci s’enracine dans une « Terre » qui était avant nous, sera après nous (dans quel état est une autre histoire), et présentement nous porte. 
Ajoutons qu’il ne s’agit pas de nier la violence de ce monde : le poème commence pas « Dieu / Un nom entre les balles / entre les chairs entre / les dents  ». Mais il y a possibilité, dans une sorte de prise directe avec la nature, de rejoindre cette multiplicité de temps qui constituent le vivant, hors histoire humaine, ou plutôt histoire humaine incluse mais pas régnante, simplement remise à sa place, mineure, dans un grand Tout qui lui survivra quand l’humanité en aura fini avec son autodestruction. 
 
[Antoine Emaz] 
 
Yves Jouan  -  Dieu existe 
Revue Ficelle, n°104, Septembre 2011 
Gravures de Vincent Rougier 
Non paginé, 9 € 
Rougier V. éditeur