« Opération Sandwich » : la clef du succès du Kindle

Par Ebouquin

Lancé en novembre 2007, le Kindle a complètement redéfini l’industrie de l’édition. Si cette onde de choc n’est pas encore arrivée en France, elle a bousculé l’économie du livre aux États-Unis. La plupart des grands groupes d’édition internationaux réalisent déjà plus de 10 % de leur chiffre d’affaire rien qu’avec des ebooks. Succès qui a surpris plus d’un analyste ou chroniqueur, mais pas aussi fulgurant qu’avaient pu le prédire certains, la réussite d’Amazon s’est placé dans un juste milieu avec à la clef des millions de readers vendus et des éditeurs toujours plus nombreux à rejoindre la librairie numérique.

À quoi tient le succès du petit lecteur de livre électronique d’Amazon ? Au-delà de l’appareil en lui-même, l’écosystème de lecture et l’offre commerciale tiennent leur part dans le succès du produit. Le Kindle Store, composé de 90 000 ebooks payants à son lancement en novembre 2007, compte désormais plus d’un million de titres payants (dont 800 000 en dessous de 9,99 $). Le prix de vente du Kindle a aussi joué dans la démocratisation du produit.

Depuis le Kindle première génération, le prix de vente de reader n’a fait que baisser. Si un Kindle de 2007 se vendait au prix de 399 $ (puis 359 $), la seconde génération fut lancée à 359 $ et a vu son prix baisser au fil des mois. En juillet 2009, Amazon baisse le prix du Kindle 2 à 299 $ puis à 259 $ en en janvier 2010. Le Kindle 3 franchit une nouvelle barrière, celle des 200 $. Avec un prix de 189 $ pour le modèle 3G et de 149 $ pour le WiFi, Amazon fixe un prix que le reste du marché tente de suivre. Dès le début de l’année 2011, Amazon a enchainé les baisses de prix, possible grâce au lancement des modèles avec publicité. En parallèle, Kindle DX a suivi la même tendance (de 489 $ à 379 $ aujourd’hui). Le Kindle à 79 $ franchit encore un nouveau cap.

Cependant, une troisième composante est essentielle (sinon majeure) dans le succès commercial du Kindle : son design. Combien de readers ont été critiqués pour leurs boutons trop durs à enfoncer, mal dessinés ou encore leur pad de navigation inutilisable ? Quant à la qualité de fabrication, elle est souvent très variable. Sur ce point, le Kindle est resté d’une constance surprenante, tout en voyant son prix baisser, tandis que son design n’a fait que s’améliorer au fil des modèles.

Le Blackberry comme source d’inspiration

Les inspirations ont été nombreuses : les premiers PDA, notamment les Palm, l’essor de la téléphonie mobile et des feus tablet-PC. La littérature de science-fiction a aussi joué un rôle de premier ordre comme source d’inspiration pour le Kindle, notamment L’Âge de diamants de Neal Stephenson.

Fiona, le prénom de l'héroine du roman de science-fiction

Mais l’une d’entre elles a eu plus d’influence que les autres. Récemment, un des ingénieurs ayant travaillé sur le premier Kindle révélait au New York Times que la source d’inspiration du design du premier reader d’Amazon n’était rien d’autre que le smartphone à succès de l’époque : le Blackberry. Pas n’importe quel Blackberry, celui de Jeff Bezos. À cette époque (nous sommes au milieu des années 2000), l’appareil représente à lui seul le segment des smartphones et se trouve entre toutes les mains de business-man.

Crédits : New York Times

Jeff Bezos, le PDG et co-fondateur d’Amazon participe à toutes les réunions de travail sur le reader et son avis pèsent sur le choix du design. BlackBerry addict, le design du smartphone servira à l’élaboration du futur Kindle. Le clavier (qui occupe presque un tiers de la façade avant du produit) doit faciliter la saisie d’une recherche sur le Kindle Store et la prise de note. La molette de contrôle cherche à imiter le système de navigation rapide des téléphones de RIM. Efficace, mais profondément inesthétique.

Du coup, l’appareil doit forcément être tenu à deux mains pour plus d’efficacité, comme un Blackberry. Paradoxe : ce premier Kindle est-il un outil de lecture et de consultation ou un terminal de productivité ? En plus de ce défaut, le design du premier Kindle laisse un goût d’inachevé, à croire que l’on tiendrait entre ces mains un prototype dont les dimensions de composants ont été l’origine du dessin biscornu. Un bien mauvais travail d’intégration…

S’il fallut trois ans de développement au sein du Lab126 pour voir aboutir le premier Kindle, les générations suivantes se sont enchaînées à un rythme quasi annuel.

Une deuxième génération hésitante, entre le haut de gamme et les défauts persistants

Le Kindle 2 inaugure un design bien mieux réussi. Beaucoup plus fin que son prédécesseur (Amazon commence à comparer la finesse de son reader à celle d’un crayon à papier), il gagne aussi un dos en aluminium, à la manière de l’iPod, appareil auquel le Kindle est régulièrement comparé. Le clavier du reader est bien réussi que sur la précédente génération, tout comme le joystick de navigation plus précis et ergonomique que le système retenu pour le Kindle 1. Malheureusement, le Kindle 2 hérite quand même de certains défauts de son prédécesseur.

Les boutons de changement sont mal pensés. En effet, le Kindle nécessite une prise à deux mains pour utiliser, contrairement à ce que montre l’image promotionnelle ci-dessus. Les équipes du Lab126 n’ont pas placé les boutons sur chaque tranche du reader, mais uniquement d’un seul côté du produit. Ainsi, un droitier peut aller à la page suivante, mais doit nécessairement utiliser sa main gauche pour retourner à la page précédente.

En dépit d’un prix de vente qui en baisse au fil des mois, le Kindle 2 a souffert de son design peu ergonomique, surtout à un moment où la percée de l’iPhone et des smartphones multitouch était de plus en plus sensible. Enfin, le plastique blanc s’est révélé particulièrement fragile sur certaines séries. Autant d’éléments qui ont poussé Amazon à revoir le design de son Kindle, en conservant ses atouts (écran E-Ink Pearl et clavier), tout en améliorant son ergonomie pour le proposer au très grand public.

« Opération Sandwich » : mission réussie

Si Jeff Bezos (ou son Blackberry) contribua à l’élaboration du design du premier Kindle, l’article du New York Times ne précise pas si cela fut le cas pour les modèles suivants… Au fur à mesure des générations de Kindle, l’inspiration initiale céda sa place au retour des utilisateurs qui se comptaient déjà par millions. Outil de lecture de prédilection du commuter, il est majoritairement utilisé en mobilité. Son écran E-Ink, qui gagne en contraste grâce à la technologie Pearl, permet une qualité d’affichage optimale en extérieur.

La finesse et la légèreté (notamment due à l’abandon du dos en aluminium) font du Kindle l’outil de lecture par excellence. Cependant, alors que les interfaces tactiles deviennent la norme, Amazon persiste à ne pas proposer d’écran de ce type, même si les rumeurs prédisaient à l’époque l’emploi de la technologie de la société Touchco. Le Kindle conserve son clavier et ses boutons de changement de page. Mais leur configuration diffère par rapport au Kindle. Désormais sur les deux tranches du reader, un bouton page précédente et page suivante permet une utilisation à une seule main.

Ce qui peut sembler être un détail est sûrement l’innovation ergonomique la plus importante de ce modèle. Le Kindle est un appareil qui s’utilise en mobilité, comme le rappelle Amazon lorsqu’elle met en scène les avis des utilisateurs de son reader. Parfait pour le citadin qui peut lire en prenant les transports en commun, en mangeant son sandwich. Pour gaucher ou droitier, le Kindle fait oublier son absence d’écran tactile. Le Kindle Touch reprend cet argument : être utilisable à une seule main avec un système de contrôle tactile optimisé. Les zones de changement de page sont redéfinies par rapport aux appareils concurrents. Une manière de prolonger « l’opération sandwich ».

Mais l’expérience utilisateur de ce nouveau produit (et du Fire) est le résultat de l’arrivée d’une nouvelle référence en matière de design : l’iPhone et l’iPad. Le minimaliste du dernier Kindle détonne avec les générations d’appareils précédentes. Et comme un retour aux sources, le Kindle Fire reprend le même design qu’un produit Blackberry, la tablette Playbook. Est-ce un bon choix ? Amazon n’est-elle pas en train de normaliser ses produits et leur design ? Est-ce un passage nécessaire pour toucher un plus grand nombre d’utilisateurs ? En cela, la prochaine génération de Kindle montrera clairement le choix retenu par Amazon en matière d’usages.