Le rêve François ou l’esprit de la revanche

Publié le 24 octobre 2011 par Sylvainrakotoarison

La voie est étroite entre un pseudo-centrisme social-démocrate et une gauche anticapitaliste de moins en moins compatible avec cette social-démocratie. François Hollande préfère pour l’heure attaquer la droite, renforcer le clivage virtuel du bipartisme et invoquer les grands dieux socialistes que sont Jaurès, Blum, Mendès France, Mitterrand… et Jospin.

Le samedi 22 octobre 2011 à la Halle Freyssinet, à Paris 13e, a eu lieu la convention d’investiture du candidat socialiste François Hollande à l’élection présidentielle de 2012 à l’issue d’une très longue période consacrée à la primaire socialiste.

Loin d’être la fête comme les conventions qui investissent les candidats américains, cette manifestation était plutôt une longue suite de discours parfois aussi ennuyeux qu’un congrès ordinaire. Ceux qui ont parlé avant François Hollande, c’étaient les candidats malheureux à la primaire qui venaient se soumettre à la décision des suffrages et prêter allégeance à leur concurrent victorieux. À l’exception de Martine Aubry qui a montré un talent politique déjà connu et reconnu, tous ces discours préliminaires étaient creux et sans nouveauté.

Esprit de revanche

Ce qui m’a frappé d’ailleurs, dans toute la tonalité de cette convention, c’était l’esprit de revanche qui agitait tous les esprits. Je pourrais presque dire l’esprit de vengeance. Comme s’il fallait laver non seulement l’affront du 21 avril 2002 mais aussi celui d’avoir désigné Ségolène Royal et d’avoir ainsi facilité l’élection de leur véritable adversaire, le Président sortant.

Car c’est de cela qu’il était question dans cette convention. D’attaquer tous azimuts la majorité présidentielle avec une grande mauvaise foi. Les orateurs socialistes n’ont pas tort, c’est de bonne guerre, et il faut reconnaître que la convention Téléthon de l’UMP du 18 octobre 2011 aurait été plus maligne de se tenir après cette convention d’investiture pour éviter ces facilités oratoires. Ce jeu de ping-pong médiatique n’a aucun intérêt et manque affreusement de sérieux dans le contexte européen actuel.

Ce qu’il ressort, c’est que le PS veut à tout prix exacerber le bipartisme en faisant de 2012 une bataille entre gauche et droite. Or, on a vu déjà en 2007 que les Français sont lassés de ces combats d’arrière-garde de camp contre camp. J’imagine bien que c’est l’intérêt de François Hollande de ressusciter ce qu’il voudrait être le camp des riches et le camp des pauvres, ce qui paraît même logique pour quelqu’un qui disait il y a cinq ans qu’il n’aimait pas les riches (même si lui-même aurait pu payer l’impôt sur les grandes fortunes).

Hollande en liberté surveillée par …Montebourg

Arnaud Montebourg, qui fut plusieurs fois félicité pour avoir organisé cette primaire (le principal bénéficiaire a avoué qu’il n’y avait pas cru beaucoup au départ), a rendu le candidat grimaçant lorsqu’il a demandé à François Hollande d’être le candidat contre les banquiers et contre la haute finance européenne, sorte de nouveau Satan issu du grand capital, dans un excès de caricature qui semble peu tromper ses auditeurs.

Pour mettre son candidat dos au mur, Arnaud Montebourg a en effet clairement martelé : « La trop longue glissade des socialistes vers le libéralisme est désormais définitivement interrompue. (…) Et je tenais à te rendre l’hommage dû à celui qui se prépare en notre nom à affronter la finance européenne. ».

De Gaulle au secours d’une certaine idée de Hollande

Le discours de François Hollande était évidemment beaucoup plus dense et nuancée, et a voulu renouer avec l’épopée mitterrandienne, n’hésitant pas à citer Stéphane Hessel (présent dans la salle) et même, eh oui, car il était aussi là, impassible, Lionel Jospin.

Répondant en effet miroir à l’évocation de Jean Jaurès dans la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy, François Hollande s’est payé le luxe de citer Charles De Gaulle sur le rêve qu’il voulait réenchanter : « Je dis le rêve français. Et à l’énoncé du mot, j’entends les sarcasmes de la droite : "On ne fait pas la politique avec du rêve". Surtout avec le bilan qu’elle nous laisse. Et pourtant, me revient une belle phrase d'un ancien Président de la République, qui avertissait : "Les gens veulent que leur histoire leur ressemble ou au moins qu'elle ressemble à leurs rêves". Eh bien voilà, c'est Charles De Gaulle qui répond aujourd'hui à la droite. ».

Une seule communauté nationale… sans aucune distinction

À deux reprises, François Hollande a évoqué l’unité des Français, unique communauté.

D’abord en faisant éloge aux valeurs de la République : « J’ai perçu également la vigueur des potentialités que recèle notre pays, cette vitalité démographique, nos savoir-faire, la qualité de nos services publics, notre recherche, la force de nos territoires, notre diversité, notre culture, notre langue, bref, toutes les ressources qui font que nous sommes la France, un pays différent des autres, un pays qui porte des valeurs, un pays qui a une histoire, qui a une culture, une tradition, et qui doit donc avoir un projet. (…) Nous avons su surmonter des épreuves bien plus redoutables. Nous sommes un grand peuple, plein de lucidité et de courage. Les valeurs de la République ne sont pas un fardeau mais un levier dans la mondialisation. ».

Ensuite en refusant la stigmatisation des personnes d’origine étrangère : « Depuis cinq ans, la République a été amoindrie, abaissée, abîmée, (…). L’identité nationale a été utilisée pour désunir. Les Français ont été distingués selon l’ancienneté de leur appartenance à la communauté nationale, les étrangers ont été mis au régime de la suspicion. Et la laïcité qui nous rassemble tous a été la victime des approximations verbales et des accommodements dangereux de celui qui aurait dû en être le garant. D’où la défiance qui s’est installée là, au cœur de notre société, il nous faudra reconstruire une nouvelle République. (…) Et ce renouvellement des pratiques entraînera le renouvellement des équipes, la représentation de la France dans toute sa diversité, avec toutes ses couleurs, avec des parcours très différents de ceux d’aujourd’hui. C’est ce renouvellement qui permettra de faire l’égalité, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’égalité entre les cultures, l’égalité entre les parcours, l’égalité entre les citoyens d’où qu’ils viennent. ».

(J’ai souligné en rouge les propos essentiels.)

Il a présenté cette vision de la communauté nationale avec pertinence, simplement et tout en nuances, mais il l’a fait en oubliant que proposer le vote des étrangers aux élections locales, c’est vider de son sens la citoyenneté française. Cela rend les propos boiteux.

Ne pas cliver la République

En affirmant très haut qu’il s’adressait à l’ensemble des Français, sans distinction d’origine, François Hollande a voulu non seulement donner un signal aux déclarations parfois douteuses de la majorité présidentielle qui ont sombré parfois dans une certaine complaisance vis-à-vis des sentiments xénophobes, dont le sommet a été le discours de Grenoble, mais il a également désavoué Ségolène Royal qui venait, juste avant lui, de parler à « la France métissée » des banlieues chaudes qui n’a pas pris part à la primaire (on se demande pourquoi !) et qui pourrait être tentée par l’extrême droite.

Les propos de Ségolène Royal étaient pour le moins ambigus : « Tendons la main à la France métissée, forte de ses enfants, tous ses enfants qui doivent trouver une place dans notre République. Oui, il faut que les quartiers populaires qui ne sont pas venus voter aux primaires puissent croire à nouveau dans la promesse républicaine afin de ne pas finir par désespoir dans le vote des extrêmes et en particulier de l’extrême droite. Voilà le défi qu’il va falloir relever avec cette France métissée qui fait partie de la République française. ».

Contre-vérité sur la gestion de la crise financière

Sur le registre de la crise financière depuis 2008, François Hollande a affirmé faussement : « Il s’est trompé de diagnostic sur la finance privée dont il a pensé que le sauvetage des banques sans contrepartie suffirait à les domestiques. ».

Si ! Il y a eu contrepartie, contrairement à ce que prétendent les socialistes de façon récurrente. Alors que les banques n’en avaient généralement pas eu besoin (elles ont eu des pressions pour accepter cette aide), cela a rapporté à l’État 4 milliards d’euros, soit plus que le montant supposé, à savoir 2,5 milliards d’euros (en fait 7,5 milliards d’euros sur cinq ans), des 60 000 postes de fonctionnaires de l’Éducation nationale que François Hollande voudrait créer.

Indécision

L’un des talons d’Achille de François Hollande est celui de ne pas vouloir prendre clairement position. Cela lui a permis de préserver son esprit consensuel mais il est des moments où il faut prendre des décisions, quitte à décevoir certains.

Martine Aubry, qui est capable de trancher clairement, a montré depuis trois ans que la gestion d’un parti nécessitait plus cette capacité à prendre des décisions pour faire revivre les idées que cette chape de plomb du consensus sans saveur.

Ce 22 octobre 2011, François Hollande a illustré une nouvelle fois cette aptitude à l’indécision, qui pourrait d’ailleurs être interprétée comme une savante habileté politique, sur la question du nucléaire sur qui se focalisent es négociations avec les écologistes : « Un homme seul ne peut pas décider de tout, sur tout, pour tout. Un pouvoir même légitime ne peut s’arroger le monopole de l’action publique. (…) Les citoyens doivent avoir leur mot à dire sur les grandes décisions qui les concernent, c’est la démocratie participative [chère à Ségolène]. Elle trouvera sa place dans le grand débat que nous ouvrirons au lendemain de l’élection présidentielle sur l’avenir énergétique de la France. ».

Stratégie de campagne

Maintenant, François Hollande va devoir choisir entre deux tournures de campagne d’ici le 22 avril 2012 (le premier tour).

Il pourrait laisser faire sa nature profonde (après tout, la vérité est l’un des grands principes avec lesquels il veut aborder la campagne présidentielle, les autres étant la volonté, la justice et l’espérance), et se contenter de faire du social-libéralisme mitigé. Cela permettrait de flirter avec les électeurs centristes, de rassurer les marchés un peu inquiets par les envolées lyriques de quelques hiérarques socialistes et se présidentialiser en renforçant son esprit de responsabilité.

J’estime qu’une telle voie le mènerait à de grandes désillusions.

D’abord parce qu’il laisserait le champ libre sur sa gauche aux démagogies les plus efficaces contre la construction européenne. Il suffit d’écouter Jean-Luc Mélenchon pour se rendre compte que ce dernier a bien l’intention de capitaliser (eh oui !) tous les mécontents de gauche : « Dans la tempête actuelle, piloter le bateau comme [François Hollande] le propose, ce n'est pas du tout raisonnable. ».

Ensuite, parce qu’il ferait finalement une politique centriste, et que, dans cette perspective, François Bayrou est bien plus crédible et bien plus cohérent que le candidat socialiste.

Résultat, il risquerait la même chose que Lionel Jospin, celui de faire une campagne de second tour pour le premier tour et de décourager son propre électorat.

L’autre possibilité, bien sûr, soutenue par Arnaud Montebourg et l’aile gauche des socialistes, ce serait au contraire de gauchiser le discours de François Hollande. Cela aurait l’avantage de rassurer ses électeurs, de les mobiliser, de renforcer la bipolarisation factice et de garantir un bon score au premier tour en vue du second.

Mais il y aurait aussi de nombreux inconvénients à cette stratégie.

Par exemple, il rendrait beaucoup plus instable la situation financière de la France et il ne faudrait pas minimiser les conséquences d’une éventuelle dégradation de nos dettes souveraines : elle coûterait à l’État plusieurs dizaines de milliards d’euros par le simple effet de défiance, ce qui réduirait encore plus les marges de manœuvre après 2012.

Son discours serait également moins convaincant car moins en phase avec sa philosophie personnelle, plus "faux" que ce qu’il voudrait apparaître. Moins crédible et moins responsable. Et surtout, il montrerait qu’il serait prisonnier des archaïsmes dont son propre parti n’a jamais réussi à se débarrasser depuis mars 1983.

Rester dans la facilité

D’inexactitudes en mauvaise foi, d’effets de préau à incantation nostalgique des fantômes du socialisme historique, François Hollande veut croire que c’est bientôt son heure. Il peut compter sur l’ensemble des apparatchiks du PS qui pourtant le détestent et regrettent la descente aux enfers de leur mentor, Dominique Strauss-Kahn, car il sait que leur ambition personnelle passera par son élection. C’est sa chance.

Comme ce fut la chance d’Édouard Balladur lorsqu’il a commencé sa campagne présidentielle de 1995.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 octobre 2011)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
François Hollande vainqueur.
Y a-t-il accord possible entre Bayrou et Hollande ?
Les 60 000 anges de François Hollande.
Rien n’est jouée.
Discours de François Hollande le 22 octobre 2011 (verbatim).



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