Colorful physics : que j'aime ta couleur café !

Par Taupo

Petit déjeuner pressé, un peu de café se renverse sur la table. De retour le soir, le café a séché. Avant d'empoigner l'éponge, contemplez un instant la tâche laissée sur la surface bien lisse.


Remarquez comme les bords des tâches sont beaucoup, beaucoup plus foncés que le reste. C'est comme si presque tout le café s'était concentré sur les bords en séchant. Cet effet dit "du rond de café" est un phénomène général qui se rencontre par exemple dans votre imprimante jet d'encre : la buse de l'imprimante envoie une goutte d'encre bien sphérique qui se dépose sur la feuille de papier et sèche presque instantanément ... en anneau. Les pigments de l'encre se retrouvent concentrés sur une toute petite surface (le bord de la tâche) au lieu de couvrir uniformément le papier. Du coup la couleur est trop pâle, le client se plaint, etc. Bref, le scientifique qui arrive à comprendre et empêcher cet effet du rond de café risque de faire des heureux (et des sous).

En 1997, une équipe de l’université de Chicago publient dans Nature l'explication du phénomène. Déjà, ils démontrent qu'il s'agit bien d'un phénomène général qui survient dès qu'une suspension de particules (aussi appelés "colloïdes") sèche. Les particules peuvent être de la poudre de café, les pigments d'une encre ou d'une peinture, des billes de silice, les cellules du sang, etc. Par contre, il y a une condition sur le solvant qui contient les particules : il doit mouiller partiellement (et non totalement) la surface.

Dans une situation de mouillage partiel, une goutte de liquide forme un dôme (une portion de sphère) au dessus du solide. L'angle entre la surface air-liquide et la surface du solide, nommé "angle de contact" (voir schéma ci-dessus) est constant, déterminé par les propriété chimiques des matériaux. S'il s'agit d'un liquide simple (dépourvu de particules, comme de l'eau pure par exemple), il va s'évaporer par la surface de la goutte, la goutte voit donc se réduire son volume tout en conservant (à peu près) son angle de contact et donc sa forme de dôme (schéma a ci-dessous), mais de plus en plus petite jusqu'à disparaître. Pas de mystère.


Que se passe-t-il donc quand des particules sont en suspension ? Certaines particules viennent se déposer sur le solide. La surface du solide n'est donc plus parfaite et lisse mais rugueuse et chimiquement hétérogène. Dans ce genre de situation l'angle de contact ne sait plus très bien quelle valeur prendre. Du coup la goutte préfère se déformer plutôt que de céder du terrain. Le bord de la goutte reste "scotché" à sa place et la goutte devient de plus en plus mince.

Sauf qu'il y a tout de même de l'évaporation au bord de la goutte (en vert sur le schema ci-dessus). La goutte doit faire des efforts pour garder son bord à la même place. Du liquide provenant du centre doit remplacer en permanence le liquide des bords perdu par évaporation. Il y a donc un flux de liquide du centre vers les bords (flèches bleues sur le schéma b ci-dessus). Et devinez qui profite du flux pour se faire porter ? Les particules bien sûr !

On a donc en permanence des particules du centre de la goutte qui sont poussées vers les bords. Et une fois au bord, elles ne peuvent pas s'évaporer avec le liquide, donc elles se déposent, s'agglomèrent et forment ainsi le "rond de café". On reprend en images avec la vidéo ci-dessous réalisée par un groupe de l'Université de Twente aux Pays-Bas.


D'après la fameuse expérience de la tache en anneau du groupe de Chicago, nous vous proposons l'expérience suivante : détendez-vous, prenez un café et placez-en une goutte sur une lame de verre. Regardez par en dessous au niveau de la ligne de contact. Utilisez la micro vélocimétrie par imagerie de particules (uPIV) pour mesurer la vitesse des particules, et tracez-la en fonction du temps.

Au début, il ne se passe pas grand chose ... quelques particules se retrouvent coincées sur la ligne de contact. Elles arrivent tellement lentement qu'elles ont le temps de s'organiser de manière cristalline [NDT : ça ne vous rappel pas les opales ?]. Le transport des particules est dû à l'évaporation au niveau de la ligne de contact qui est immobilisée. Cette évaporation pompe le liquide et les particules vers la ligne de contact, ce qui construit la tâche de café en anneau bien connue.

Remarquez comme la vitesse commence à augmenter alors que la goutte s'amincit. Cette accélération est dictée par la conservation de la masse : la goutte rétrécit donc une vitesse plus importante est nécessaire pour compenser l'évaporation. De fait, la vitesse se comporte comme l'inverse de la hauteur de la goutte ... attendez-vous à une avalanche ! En utilisant le modèle de Degan et al. nous avons calculé le champ de vitesse qui diverge lorsque la goutte disparaît. Ca colle bien avec l'avalanche observée.

Notez comme l'organisation des particules diffère suivant la vitesse d'arrivée. Regardons de plus près la formation de l'anneau (accéléré 35 fois). Au début, les particules ont le temps de se ranger presque comme un cristal. L'avalanche de particules provoque un embouteillage, les particules s'empilent alors sans ordre.

Vous pouvez maintenant profiter de votre café !

L'étude de l'empilement des particules au niveau de l'anneau a valu à ce groupe une publication dans Physical Review Letters (sans doute ce qui se fait de mieux en physique après Nature et Science) cette année. Comme dans le cas des opales ils ont utilisé des particules bien rondes et toutes exactement de la même taille pour obtenir des cristaux. Qui sait, à partir de ces recherches on pourrait obtenir des peintures iridescentes, ou l'équivalent des circuits imprimé pour la photonique (l'équivalent de l'électronique mais avec de la lumière et non de l'électricité).

Marangoni à la rescousse

Mais revenons à notre imprimante. Comment se débrouillent Messieurs Canon, Epson, et consorts pour éviter de retrouver leur encre en anneau ? Ils exploitent un phénomène physique nommé "flux Marangoni" du nom d'un chercheur Italien qui a fait sa thèse dessus à la fin du XIXe siècle. Mélangez deux liquides, par exemple de l'eau et de l'alcool comme dans du vin. L'eau a une tension de surface plus élevée que l'acool, mais l'alcool s'évapore plus vite. L'évaporation se produit à la surface du mélange, du coup à cet endroit il y a plus d'eau que d'alcool, donc la tension de surface est plus forte, donc le liquide se retrouve plus fortement "tiré" dans la direction de la surface. C'est ce qui produit les "larmes du vin".


Pour éviter les tâches en anneau, les industriels des encres font l'inverse : ils mélangent à leur solvant principal un deuxième solvant qui s'évapore plus vite et qui a une tension de surface plus élevée. Du coup, c'est ce deuxième solvant qui disparaît en premier du bord de la goutte. A cet endroit la tension de surface est donc plus faible qu'au centre de la goutte et il se produit un flux qui va des bords vers le centre : justement l'opposé du flux qui crée l'anneau. Les particules n'ont donc plus de raison de s'accumuler plus sur les bords et il n'y a plus de tâche en anneau.

Le problème avec cette méthode c'est qu'une encre est déjà un produit extrêmement complexe comprenant parfois des dizaines de composés. Trouver un second solvant qui possède toutes les propriétés requises n'est pas chose aisée et rajoute forcément un pourcentage non négligeable au coût de l'encre. Saviez-vous que certaines encres d'imprimante coûtent plus cher au litre que les meilleurs champagnes ?

Suprématie de l'ovalie

C'est dans ce contexte qu'une équipe de l’université de Pennsylvanie (Etats Unis) a publié en Septembre dans la revue Nature un moyen bien plus simple de supprimer l'effet tâche de café. Au lieu d'utiliser des particules sphériques comme des ballon de volley, ils ont eu l'idée d'utiliser des particules ellipsoïdales, comme des ballons de rugby. Et là, surprise : les particules se déposent uniformément.

A vrai dire la découverte s'est produite par hasard comme souvent. Ces chercheurs avait fabriqué des particules plus ou moins allongées pour une toute autre raison (étudier la transition vitreuse, on en reparlera), et au cours de leurs manipulations des gouttes de ces solutions sont tombées sur la paillasse et ont séché. Le doctorant a eu la curiosité suffisante pour remarquer que les tâches n'avaient pas la même forme : en anneau pour les solutions de particules sphériques ou presque ; uniformes pour les solutions de particules allongées. Il en a parlé a ses superviseurs et ensemble ils se sont rendus compte qu'ils avaient trouvé quelque chose de très très intéressant.

Je les laisse vous expliquer ça en vidéo :


Quand une goutte contenant des particules sphériques s'évapore, elle laisse une tâche en forme d'anneau nommée l'effet tâche de café. Quand le liquide s'évapore le fluide s'écoule du centre vers les bords en emportant les particules. Des particules sphériques s'empilent de façon compacte, formant ainsi l'anneau.

Mais si vous changez la forme des particules la tâche change également. Des particules allongées ne forment pas un anneau mais se dépose quasiment uniformément sur toute la surface de la goutte. Au lieu de s'écouler vers les bords pour s'y empiler, les particules allongées vont se loger à la surface libre de la goutte, la déformant ce qui les en retour les fait s'y agglomérer uniformément sur toute la surface. Les aggloméras sont peu denses et s'étendent facilement jusqu'au centre de la goutte.

Si on ajoute des surfactants, les particules allongées se comportent comme les particules sphériques : elles forment un anneau.

Ce qu'il y a de bien avec cette méthode c'est qu'il n'y a pas besoin d'ajouter un composé supplémentaire à votre encre. Il suffit de déformer un peu les pigments pour les faire s'allonger, sans changer leur composition chimique. Si même ça ce n'est pas possible, on peut aussi mélanger des ellipsoïdes et des sphères : si les ellipsoïdes sont assez nombreux, ils gagnent et imposent une tâche uniforme.

Ha ! Si ça pouvait faire baisser le prix des encres pour imprimante ...

Références:

  1. "Capillary flow as the cause of ring stains from dried liquid drops" Robert D. Deegan, Olgica Bakajin, Todd F. Dupont, Greg Huber, Sidney R. Nagel, and Thomas A. Witten, in Nature 389, 827 (1997)
  2. "Avalanche of particles in evaporating coffee drops," by Alvaro G. Marin, Hanneke Gelderblom, Jacco Snoeijer, Detlef Lohse, ArXiv, submitted on 15 Oct 2010.
  3. "Order-to-Disorder Transition in Ring-Shaped Colloidal Stains." Marín Á, Gelderblom H, Lohse D, Snoeijer J. Physical Review Letters. 2011;107(8):1-4.
  4. "Marangoni Effect Reverses Coffee-Ring Depositions" Hua Hu, Ronald Larson Journal of Physical Chemistry B 110 (14) : 7090–7094 (2006). doi:10.1021/jp0609232
  5. "Suppression of the coffee-ring effect by shape-dependent capillary interactions", Peter J. Yunker, Tim Still, Matthew A. Lohr & A. G. Yodh, in Nature 476, 308–311 (2011)

P.S. : pour justifier le titre de la série, du billet et se quitter en musique, un clip en noir et blanc :


Pour rester dans les sujets brûlants, la prochaine fois je vous parlerai sûrement de l'incandescence.