Allô, je suis tombé en amour avec Montréal (ou comment je placotais avec les écureuils)

Publié le 30 octobre 2011 par Desfraises

 Quand, un matin, j’ai réalisé que je me brossais les dents avec la vieille brosse à dents qui avait récuré la douche, le lavabo, etc. j’ai compris que j’étais rentré trop tôt de mes vacances à Montréal.
Là-bas, je contracté le syndrome du « je veux m’installer à Montréal ». Il y règne une telle douceur de vivre, les locaux sont tellement gentils. Je ne verse pas dans la mièvrerie, ça n’est pas mon genre. Mais je vous assure, la gentillesse des autochtones n’est pas un mythe. Elle est réelle. La caissière te dit allô* te tutoie et te demande comment elle pourrait soulager son poignet foulé. Et quand tu n’es pas trop farouche, elle te demande si « tu aimes la place* ? »
Mon amie et moi, flânions à Sainte-Agathe-des-Monts, repaire de nantis à une heure de route de Montréal. Nous faisions le plein d’eaux minérales d’alcool au SAQ* local, achetions deux ou trois babioles au dépanneur* en vue d’un barbecue en famille.
 Du haut de la colline où nous avions loué un chalet pour 4 adultes et 2 enfants, je tirais un fil, à l’écart, et contemplais le ciel étoilé tandis que mon amie s’interrogeait sur le nombre de chamallows à enfiler sur une pique pour ensuite tendre le bras au-dessus des braises et respirer, stoïque, la fumée. Non, nous ne chantions pas des chansons d’Hugues Aufray. Nous nous contentions de savourer l’amitié, d’arroser nos retrouvailles, d’envisager peut-être un jour de vivre l’aventure québécoise.
 Je ne vous ferai pas la liste des points négatifs. Il faut être lucide. Et pragmatique. Habiter un autre pays que le sien implique une sacrée adaptation, des sacrifices. Me concernant, je n’ai ni compagnon ni marmaille. Et aucun plan de carrière qui exige que je m’installe définitivement ici ou là. Le syndrome je-veux-m’installer-à-Montréal s’estompe souvent au retour au bercail. Quand on pèse le pour et le contre, qu’on raisonne. On se dit, il faut revenir au cœur de l’hiver pour tester la froidure et déblayer chaque jour neige et glace devant son perron. 
 J’aime Montréal. Mais j’adore Paris.
 Nous continuions de couler des jours heureux dans les Laurentides, puis au bord du lac Monroe, dans le Parc national du Mont-Tremblant. Au dernier petit matin de notre escapade à Sainte-Agathe-des-Monts, tandis que la cafetière crachotait, le lac en bas n’était inquiété par aucun vent, j’admirais la végétation rougeoyante qui se reflétait comme sur un miroir. Tout le monde dormait encore. Les petites chipies de mes amis n’avaient pas encore décidé de secouer la région de leurs redoutables caprices. Et tel Blanche-Neige, je placotais* avec l’écureuil qui s’avançait vers moi.
Il suffit de me faire boire et fumer et je parle couramment l’écureuil.
Mon amie, pour sa part, rêvait de croiser un raton-laveur. Elle est rentrée en France, déçue, inconsolable.
 De retour à Montréal, sous le soleil d’un onctueux été indien, j’enfourchais un Bixi*, je m’empiffrais de burgers et de poutine*, je buvais une Boréale aux Foufounes électriques, je m’arrachais les cheveux lorsqu’il fallait calculer les taxes et les pourboires obligatoires, je mitraillais la ville de photos et de pensées amoureuses, je crousais* dans le Village, je remerciais mes amis de leur accueil et je me réconciliais avec l’enfance.
Oui. Car je m’amuse régulièrement à déclarer que je n’aime pas les enfants. Sauf ceux qui jouent à me surprendre comme m’a surpris une des jumelles de mes amis.
Un matin, attriqué comme la chienne à Jacques*, attablé devant l’ordinateur au sous-sol, seul avec mon café, je tweetais mon enthousiasme pour Montréal et les Montréalais. Je n’étais pas encore rentré en France que je m’injectais déjà une dose d’internet. Jetant alors un regard autour de moi, je vis un petit bout de chou de 4 ans, planté au pied de l’escalier, qui m’observait. Je n’eus pas eu le temps de lui lancer « tu es déjà levé ma belle ? » qu’elle me dit tout-à-trac : « tu es magnifique. »
Ne vous étonnez donc pas que ces vacances m’aient enchanté.

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* Allô : salut – La place : l’endroit – SAQ : magasins vendant vins et spiritueux – Dépanneur : épicerie – Placoter : bavarder – Bixi : le Vélib’ montréalais – Poutine : frites avec sauce et fromage – Crouser : draguer – Attriqué (ou habillé, arrangé) comme la chienne à Jacques : mal fagoté – Paqueté : saoul
(Préambule: j'étais paqueté* dans l'avion m'emmenant à Montréal)