Deux films au style opposé sur les arcanes du pouvoir

Par Borokoff

A propos de Les Marches du pouvoir de et avec George Clooney 2.5 out of 5 stars et L’exercice de l’Etat de Pierre Schoeller 4 out of 5 stars

Ryan Gosling

Deux films sortent au même moment. Deux films traitant des arcanes du pouvoir mais de manière diamétralement opposée.

Dans Les marches du pouvoir de George Clooney, Ryan Gosling interprète Stephen Myers, le conseiller de campagne du Gouverneur Morris, un candidat démocrate aux Présidentielles joué par Clooney lui-même.

Jeune, idéaliste, Myers croit fermement en les idées de Morris, en son intégrité morale et politique. Mais lorsque le gouverneur démocrate est impliqué dans une histoire de mœurs très embarrassante pour sa campagne, Myers se trouve coincé dans un dilemme : soit il dénonce Morris pour sa conduite déshonorante, soit il se sert de cette aventure pour faire chanter Morris et s’ouvrir une voie royale vers le pouvoir…

Adaptation d’une pièce de Beau Willimon, Farragut North, Les marches du pouvoir est interprété par une pléiade de stars, de Philip Seymour Hoffman à Paul Giamatti en passant par Marisa Tomei et Jeffrey Wright (Basquiat) et c’est ce qui fait tout son sel. Rythmé, Les marches du pouvoir est mené quasiment à la manière d’un thriller, mais un thriller psychologique sur la corruption morale d’un jeune conseiller politique au départ très intègre mais qui renonce peu à peu à tous ses idéaux.

Philip Seymour Hoffman, George Clooney

Tout en suivant le parcours d’un homme politique du côté de sa vie personnelle, la mise en scène de Clooney n’en privilégie pas moins une dimension spectaculaire assez gênante et caricaturale au final. Il faut dire qu’aux Etats-Unis, la place qu’occupent dans la vie politique les affaires de mœurs et le scandale qu’elles peuvent provoquer n’ont rien à voir avec ceux suscités en France.

On n’a jamais reproché à Mitterrand ou à Chirac d’avoir des relations extra conjugales alors que l’affaire Lewinsky a failli coûter sa place à Clinton et que DSK a bien perdu la sienne au FMI pour l’histoire que l’on connait.

Le film de Schoeller, à l’opposé de celui de Clooney, est beaucoup plus  intimiste et précis, étayé et personnel. De manière très réaliste, quasi-documentaire parfois, la caméra de Schoeller suit au jour le jour Bertrand Saint-Jean, un Ministre des Transports interprété par Olivier Gourmet excellent comme d’habitude. Le point de départ de L’exercice de l’Etat est le drame d’un bus scolaire qui s’est renversé dans les Ardennes et a causé la mort d’une dizaine d’enfants. Réveillé en pleine nuit, Saint-Jean se rendre illico sur place, accompagné de son fidèle conseiller et homme de l’ombre, Gilles (Michel Blanc) et de sa conseillère en communication Pauline (Zabou Breitman). Mais Saint-Jean doit affronter à la fois la douleur des parents et la pression des médias…

Olivier Gourmet, Zabou Breitman

Pour son second film après Versailles, Schoeller interroge de manière beaucoup plus profonde que celui de Clooney la personnalité complexe d’un homme politique qui occupe un ministère non pas ingrat mais beaucoup moins médiatisé que les autres.

Qui est Saint-Jean au juste ? Un type à la fois simple et ambitieux dont la personnalité échappe, difficile à saisir.

Au contraire de Myers dans Les marches du pouvoir, Gilles, ancien préfet, n’a pas véritablement d’ambition politique personnelle. Est-il un suiveur, un « loufiat » comme lui reproche en se moquant un peu de lui son ami Woesner (Didier Bezace) ?

Gilles reste fidèle à son Saint-Jean à l’opposé de Myers, soudain prêt à toutes les corruptions ou autres changements de bord politique pour ne pas gicler de la vie politique.

Saint-Jean a compris qu’il faut être un loup et un loup impitoyable pour rester en vie sur l’échiquier politique, mais c’est aussi quelqu’un qui renoncera à ses idées. Lui qui était contre la privatisation des gares parisiennes changera finalement d’avis, sentant que sa survie ne tient qu’à son virement de cap.

Si le personnage de Clooney est brossé superficiellement, c’est le contraire qui se produit dans le film de Schoeller avec ce double portrait très fouillé d’hommes politiques aux destins et aux ambitions opposés.

Qui « préfèrera »-t-on entre Saint-Jean et Gilles ? Myers et Morris se ressemblent finalement, au contraire de Saint-Jean et Gilles. Les questions que posent les deux films semblent se faire écho. Est-ce que le système et la vie politique déforment les hommes ? Un grand homme politique n’est-il pas tout simplement un  « tigre » sur un ring, quelqu’un à la force psychologique et aux ressources hors normes ? L’ambition en politique est-elle synonyme de corruption morale, de renoncement à ses idées ?

Dans une scène très belle à la fin, Saint-Jean, venu à l’enterrement de son chauffeur tué dans un accident de la route, chuchote tout bas le discours très émouvant qu’il ne prononcera pas sur la personnalité de cet homme taiseux et mystérieux qui le conduisait chaque jour. Et à nouveau surgit l’ambigüité de Saint-Jean, personnage profond mais contraint à des compromis pour monter en grade et durer en politique. Des compromis ou des compromissions ?…

www.youtube.com/watch?v=3JsFVa_EtM8

Les Marches du pouvoir, film américain de et avec George Clooney avec Ryan Gosling, Philip Seymour Hoffman, Paul Giamatti (01h35).

L’exercice de l’Etat, film français de Pierre Schoeller avec Olivier Gourmet, Michel Blanc, Zabou Breitman (01h55).