Les Indiens ne veulent pas de filles

Publié le 30 octobre 2011 par Journalpakistan @journalpakistan

L’Inde sera le pays le plus peuplé au monde en 2050. Mais elle manque de filles.

Paru dans La Libre Belgique le 31 octobre.

La campagne publicitaire a été lancée l’année dernière à Delhi. Dans les rues de la capitale indienne, les passants peuvent voir, lire, ce slogan un peu partout : « Une fille apporte de la joie dans un foyer. » Le gouvernement du Madhya Pradesh, dans le centre du pays, a lancé, il y a trois semaines, la campagne « Sauvez nos filles » , qui reprend les mêmes arguments. Un effort qui en dit long sur le déficit de filles en Inde et les conséquences dramatiques qui peuvent en découler.

Selon le recensement publié au début de l’année (cliquer ici pour le consulter), l’Union indienne compte en moyenne 940 filles pour 1 000 garçons. En Europe, le ratio est d’environ 1 005 femmes pour 1 000 hommes. Plus inquiétant, alors qu’en 2001, le manque de filles touchait surtout le Nord et l’Ouest, le phénomène s’étend désormais à l’Inde du Sud. Dans certaines régions, il atteint le chiffre alarmant de 774 pour 1 000. Et dans la catégorie des enfants de moins de 7 ans, le ratio tombe à 914 pour 1 000 alors qu’il s’élevait à 945 pour 1 000 en 1991.

Le problème est ancré dans la tradition. L’Inde du Nord en particulier est une société patriarcale. La pratique de la dot est courante. Avoir un garçon, c’est éviter de payer une somme astronomique à sa belle-famille. C’est aussi perpétuer le nom. Et une femme mariée quitte la maison de ses parents pour vivre avec ses beaux-parents. En ayant un garçon, les parents savent que quelqu’un s’occupera d’eux quand ils vieilliront. Enfin, lors de la crémation qui conclut le rite funéraire hindou, la croyance veut que le défunt aille au paradis si un fils, et non une fille, allume le feu.

Alors que l’Inde est entrée dans la modernité, la discrimination s’est accentuée. Grâce aux échographies, les parents peuvent connaître le sexe avant la naissance. Les conséquences sont dramatiques. Le 4 avril, des enfants qui jouaient au cricket dans une décharge de Kishanganj, dans l’Etat oriental du Bihar, ont découvert 15 fœtus féminins dans des bocaux. En 1994, le Parlement indien avait voté une loi interdisant aux médecins de communiquer le sexe du bébé. En vain. Fin mai, une étude de la revue scientifique The Lancet estimait entre trois à six millions le nombre d’avortements de fœtus féminins entre 2000 et 2010. Les fabricants d’équipements médicaux, comme General Electric, sont dans le collimateur des ONG. Elles les accusent d’amplifier le phénomène en vendant leurs machines à travers tout le pays. L’avortement sélectif a beau être interdit, les parents peuvent l’obtenir en payant un médecin 20 000 roupies environ (300 euros). Ce sont surtout les classes aisées qui ont recours à cette pratique. Le déficit de filles est élevé dans des Etats riches comme le Penjab, l’Haryana et le Gujarat. Les sociologues estiment que l’avortement sélectif est moins brutal que le meurtre d’un nouveau-né et qu’ainsi, le sentiment de culpabilité disparaît.

Quelles seront les conséquences ? En 2003, le cinéaste indien Manish Jha avait imaginé l’avenir dans Matrubhoomi, un monde sans femmes. (voir un extrait) Le film raconte le destin d’un village où aucun mariage n’a eu lieu depuis quinze ans. Le dernier a été annulé parce que la mariée, âgée de 14 ans, était un garçon déguisé. Quand un père, qui tente de marier ses cinq fils, découvre qu’un voisin cache sa fille, il l’a lui achète 100 000 roupies (1 500 euros). La jeune femme est mariée de force. Les cinq garçons se partagent la victime chaque jour de la semaine. La réalité dépassera-t-elle la fiction ?

Il y a quatre ans, un rapport de l’Unicef estimait que la baisse du nombre de femmes favoriserait la polyandrie. Elle pourrait en tout cas exacerber les mariages d’enfants, les crimes sexuels, le trafic de femmes et la prostitution.


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