la chute

Publié le 09 novembre 2011 par Hoplite
















LA FIN PRÉPROGRAMMÉE

On parle ce matin de gouvernement d’unité nationale non plus seulement pour la Grèce, mais dorénavant aussi pour l’Italie, progression inéluctable des temps normaux vers les temps d’exception que j’annonçais déjà dans une chronique d’avril 2010 pour Le Monde-Économie :

Les gouvernements d’unité nationale sont pour bientôt, quand il sera devenu évident aux yeux de tous qu’aucun parti ne connaît à lui tout seul la solution des problèmes insolubles qui se posent, suivis alors de Comités de Salut Public, quand il sera clair que même tous ensemble ils n’y comprennent rien…

Pourquoi mon pessimisme anticipé ? Parce que la machine de destruction s’était mise en branle et les moyens de l’arrêter, inexistants, la zone euro s’étant privée délibérément des soupapes de sûreté que sont d’une part la dévaluation et la réévaluation de la devise et, d’autre part, le défaut et la restructuration de la dette. Un fédéralisme voulu comme simplement superficiel, limité à l’Europe des marchands, exigeait cela.

Un taux de la dette italienne à dix ans supérieur à 6,5%, comme c’est le cas désormais, déclenche une dynamique perverse qui devient irréversible : le taux poursuit sa progression vers le haut, tandis qu’en écho, la dette existante se déprécie de plus en plus rapidement. Dans la logique à l’intérieur du cadre néo-libéral, qui est celle de tous les gouvernements occidentaux – de gauche comme de droite – de leurs banques centrales et du FMI, les seules variables d’ajustement sont la suppression de l’État-Providence et de la protection des salariés contre les abus au sein du droit du travail. Une agence de presse donnait hier la parole à trois économistes représentants de cette idéologie désormais suicidaire, répétant les lignes de leur catéchisme : que l’augmentation de l’imposition sur les grosses fortunes est anathème aux yeux du marché des capitaux – à la tête maintenant de toutes nos nations, et que seule compte pour lui, comme mesure valable, le démantèlement de l’État-Providence.

Les 14 membres restants de la cordée zone euro suffisaient de justesse à soutenir les corps pendants dans le vide de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande. L’Italie qui tombe, et c’est la cordée toute entière qui est précipitée dans l’abîme.

Le seul sursaut possible consisterait à sortir immédiatement de ce cadre néo-libéral réfuté en ce moment par l’histoire. Sinon, le suicide collectif est déjà programmé.

 Paul Jorion, 2011.

On aimerait que paul Jorion nous explique un peu mieux ce qui se passe quand c'est la fin; mais ceux qui le lisent régulièrement et qui ouvrent les yeux sur la situation de quelques pays précurseurs comme les USA, la Grande-Bretagne ou la Grèce, savent: paupérisation générale, dislocation de tous les cadres institutionnels structurants (éducation, santé, transports, sécurité, distribution, régimes sociaux, etc), sauve-qui-peut général (GGG, la devise des survivalistes: Gold, Guns, Get away), déreliction générale, violence, abandon des plus faibles.
Comme le dit Jorion, c'est le démantèlement des états-providences avec ces filets sociaux (qui font rêver les 49 millions d'américains qui survivent de bons alimentaires dans leur voiture ou sous des tentes). Certains diront avec raison que vont disparaitre également toutes les dérives insupportables de l'état thérapeutique moderne qui accompagne nécessairement la progression de la weltanschauung individualiste libérale (allocations tous azimuts, subventions délirantes, promotion dérisoire d'un "vivre-ensemble" introuvable, etc.).
Trois remarques: la première est que c'est ce compromis historique entre la logique du capitalisme (désormais globalisé et "sans entraves") et les exigences sociales minimales de communautés nationales édifié aprés 45 qui va partir avec l'eau du bain...les néo-libéraux qui se félicitent de la faillite de ce modèle anthropologique propre aux européens se préparent des jours difficiles dans leurs think-tank sécurisés, comme je le suggérais il y a quelques mois (j'aime bien me citer...):

Dans la mesure ou il se fonde sur l’individualisme, le libéralisme tend à briser tous les liens sociaux qui vont au-delà de l’individu dans un marché qui requiert, pour son bon fonctionnement, la libre circulation des hommes et des marchandises et l'abolition des frontières, ce qui contribue à la dissolution des structures, des identité et des valeurs partagées (au sein de toute société holiste/traditionnelle). Cela ne signifie pas que des libéraux n’aient jamais pu défendre des identités collectives, cela signifie qu’ils n’ont pu le faire qu’en contradiction avec les principes dont ils se réclament. L’atomisation des communautés que produit la montée de l’individualisme libéral se traduit donc par la destruction des structures d’existence organiques (familles, clans, communautés, corporations, syndicats, partis, etc.), par une érosion généralisée du lien social, livrant des individus seuls (désassociés) à la « lutte de tous contre tous » (Hobbes) qu’est la concurrence généralisée au nom de l’utopie d’un contrat social (Locke) ou de la providence (la fameuse « main invisible du marché » de Smith, censée organiser pacifiquement la société à partir de monades antagonistes). Ce dont parlait Tocqueville lorsqu’il évoquait cet homme moderne « retiré à l’écart, comme étranger à tous les autres ». En passant, Smith admettait la légitimité de l’intervention publique lorsque les seules actions individuelles n’étaient pas suffisantes, ce que contestera plus tard Hayek au nom de la nécessité de n’entraver en rien l’ « ordre spontané » du marché.

J’en viens à l’assistanat, bête noire des libéraux (et parfois à juste titre lorsque on en vient à subventionner des polygames à la Courneuve, des associations haineuses appellant à la destruction de la nation, des intermittents de mes deux, performers sur échasses et autres cracheurs de feu arc-en-ciel, des connards de rappers juste bon à casser des galets), mais dont il faut comprendre qu’il est directement lié à la propagation de l’hubris libérale : les libéraux ne cessent de tonner contre l’Etat-providence sans réaliser que c’est l’extension même du marché qui rend inévitables des interventions étatiques toujours accrues du fait de la vulnérabilité croissante des hommes, privés de toutes les anciennes formes de protection sociales/ communautaires détruites par le développement industriel, la montée de l’individualisme et l’expansion illimitée du marché. Les anciennes solidarités pour l’essentiel héritées reposaient sur un échange de prestations mutuelles et la responsabilité de tous (et la logique du Don), les nouveaux rapports marchands sur la déresponsabilisation générale et l’assistanat.

« Un marchand n’est nécessairement citoyen d’aucun pays en particulier. Il lui est, en grande partie, indifférent en quel lieu il tienne son commerce, et il ne faut que le plus léger dégoût pour qu’il se décide à emporter son capital d’un pays dans un autre, et avec lui toute l’industrie que ce capital mettait en œuvre. »

Adam Smith, (premier internationaliste conséquent), Recherche sur la nature et les causes de la richesse des Nations, 1776.

Deuxième remarque, tout ce psychodrame ne doit pas masquer l'état réel du monde anglo-saxon dont la faillite est programmée à court terme malgré les poses des cuistres Obama et Geithner venant distribuer des satisfecit aux enfants européens (et malgré tous les QE du monde). En 2008, c'est Lehman bros qui a failli mettre le système à terre, rien n'a été fait pour corriger les mécanismes à l'oeuvre, même Madoff, du fond de sa geole, rappelle que les USA et leur "rimland" vivent sur une pyramide de dettes insolvables...Qui tombera en premier?

Troisième remarque, on entend à nouveau depuis peu l'habituelle réthorique guerrière de l'administration US et de leurs affidés israéliens sur la menace iranienne comme si le crime Irakien n'avait pas existé. Comme si tout le monde avait oublié le pauvre Colin Powell et son flacon d'anthrax à la tribune des Nations-unies. Comme si cette administration acculée n'était pas à nouveau prête à rejouer le pire.