William Carlos Williams [Notes sur la création]

Par Florence Trocmé

XI 
 
Comme je passais préoccupé 
de rien au monde 
 
sinon de la postérité 
dont je jouis sur la route en 
 
vertu de la loi – 
je vis 
 
un homme d’un certain âge qui 
sourit puis tourna la tête 
 
du côté d’une maison au nord – 
une femme en bleu 
 
qui riait et 
se penchait en avant pour mieux 
 
voir le visage à demi 
détourné de l’homme 
 
et un garçon de huit ans qui 
regardait briller là-bas sur 
 
le ventre de l’homme 
une chaîne de montre – 
 
L’importance suprême 
de ce spectacle anonyme 
 
m’amena à filer devant eux 
sans un mot – 
 
Pourquoi me soucier d’où j’allais ? 
puisque j’allais glisser sur les 
 
quatre roues de ma voiture 
le long de cette route humide 
 
jusqu’au moment où je vis 
une jambe 
 
de fille par-dessus le  
garde-fou d’un balcon 
 
 
L’écriture n’aura de réalité qu’à condition de laisser d’abord travailler l’imagination, comme il est expliqué en partie dans ce qui précède – Il ne s’agit pas d’entreprendre, à ce moment-là, une estimation des valeurs du mot qu’on utilise suivant des critères présupposés, mais d’écrire ce qui se passe alors à ce moment-là – 
D’aller au bout de ses capacités à rendre compte de cet instant où la conscience est élargie grâce à la meilleure compréhension qu’offre l’imagination, d’exercer son talent à enregistrer cette force en action, enfin de la reconnaître, dans toute l’importance de ses proportions – 
C’est la présence d’une 
Il ne s’agit pas d’ « adapter » l’expérience mais de l’unifier 
C’est-à-dire que l’imagination est une force réelle comparable à l’électricité ou à la vapeur, et non pas un jouet, c’est une puissance dont on se sert depuis toujours pour augmenter l’intelligence de – cela est, inutile d’avoir recours au mysticisme – En fait c’est ça qui m’a dissimulé ce que je cherchais à savoir – 
La valeur de ce que l’imagination apporte à l’écrivain réside dans son aptitude à faire des mots. Elle possède le pouvoir unique de donner à des formes créées une réalité, une existence véritable 
Écrire ne revient pas à chercher un peu partout dans l’aventure quotidienne des comparaisons appropriées et des pensées, des images qui soient jolies. J’en ai malheureusement fait moi-même l’expérience. Ce n’est pas consciemment donner un compte-rendu « tout frais et ressemblant » des événements du jour – Ce genre de chose n’est pas bénin s’agissant de développer un talent quel qu’il soit, cela paralyse, fait de l’artiste un – Cela détruit, fait de la nature un simple accessoire pour la théorie particulière qu’il applique, cela l’empêche de voir le monde qui est le sien, - 
Avec de l’imagination l’écrivain se sentirait dispensé d’observer les choses dans le seul but de les mettre par écrit ensuite. Il serait là pour apprécier, pour goûter, pour convier le monde libre, pas un monde qu’il transporterait comme un sac de provisions, craignant toujours de laisser échapper quelque chose ou qu’un autre ait plus que lui. 
 
William Carlos Williams Le printemps et le reste (1923), trad. Valérie Rouzeau, Unes, 2000 (pp. 52-53)

[Jean-Pascal Dubost]