Apocalypse Mansfield

Publié le 16 novembre 2011 par Hongkongfoufou

Par Oddjob

 

Route US 90, reliant Biloxi à la Nouvelle Orléans, le 29 juin 1967, Jayne Mansfield décède dans un accident de la route à bord de sa Buick Electra 225, bleu métallisé, modèle 66.

Cannes, le 24 mai 1979. Le jury, présidé par Françoise Sagan, décide de décerner deux Palmes d’Or, ex-æquo : l’une à Die Blechtrommel (Le Tambour) de Volker Schlöndorff, l’autre à Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Il va sans dire qu’entre une adaptation teutone d’un roman non moins teuton de Günter Grass (Dantzig, des Polonais, des Allemands, une guerre, des adultes dans leur lâcheté la plus crasse…) et la transposition en plein conflit vietnamien d’Au Cœur des Ténèbres de Joseph Conrad (par John "Conan" Milius), notre cœur ne balance pas une seule seconde.

Mais quel rapport, me direz-vous, entre le décès d’une movie star "devenue une attraction foraine" (selon Simon Liberati qui en fait l’héroïne ténébreuse de son dernier roman Jane Mansfield 1967) et cette apocalypse, film de guerre ultime, indépassable et indépassé, tant devant que derrière la caméra ?

L’envers et l’enfer du rêve américain, de sa bonne conscience : sa mort lente mais sûre, aussi bien dans les rizières vietnamiennes que sur les hauteurs des collines Hollywoodiennes.

Jane Mansfield, c’était du sexe (pitoyablement pathétique), des sciences occultes et du satanisme (avec le mage/gourou Anton La Vey, pape de l’Eglise de Satan et futur proche de la Manson Family), des drogues (cocaïne, dexedrine, LSD).

Et le cinéma dans tout ça ? The Girl Can’t Help it (La Blonde et Moi), Will Success spoil Rock Hunter? (La Blonde Explosive), Too Hot To Handle (La Blonde et les Nus de Soho)… Bref le cinéma de A à Z !.

Et puis tellement peroxydée qu’elle en devint chauve, ne portant désormais plus que des perruques…


Pendant ce temps-là, loin des frasques de l’ancienne Playmate de février 1955, les GI’s cassent du Viêt-Cong et s’empêtrent dans ce "merdier" jusqu’à la flak jacket !

Revoyez la séquence d'ouverture d'A. N. (il n'y a aucun générique de début ni de fin...) et l'embrasement de la jungle au son du The End des Doors et des rotors des hélicos Et c'est toute l'Amérique dans ce qu'elle a de plus mythique et même de caricatural qui prend fin durant trois heures, sous nos yeux.

   - Le colonel Kurtz (Marlon Brando), figure héroïque des Bérets Verts et de l’US Army, devenu seigneur (saigneur) de guerre aux confins du Cambodge. Bref un John Wayne qui aurait pété les plombs. "Nous devons les tuer. Nous devons les incinérer. Porc après porc. Vache après vache. Village après village. Armée après armée et ils me traitent d’assassin ! Comment dit-on lorsque des assassins accusent un assassin ?"

   - La charge des Hueys au son de la Chevauchée des Walkyries Wagnériennes, menée par un officier de cavalerie surfeur et sans cheval (Robert Duvall). "Vous sentez cette odeur ? C’est le napalm fiston, il n’y a rien d’autre au monde qui ait cette odeur-là. J’adore respirer l’odeur du napalm le matin. Une fois, ils ont bombardé une colline pendant douze heures, et après je suis allé au résultat. On a pas retrouvé le moindre cadavre de Viet, rien, pas un seul. Seulement cette odeur d’essence plein les narines sur toute la colline comme l’odeur … de la victoire."

   - La tournée Playboy censée redonner le moral aux troupes et qui finit dans la boue, et les Miss Février et Mai d’être livrées en pâture, en échange de bidon de gasoil…

Et encore, la version de 1979 était amputée de plus d’une demi-heure (que l’on retrouvera dans la version 2001 Apocalypse Now Redux), avec notamment la célèbre séquence dans la plantation française, avec Christian Marquant, en officier jusqu’au boutiste et Aurore Clément en veuve opiomane éthérée. 


Derrière la caméra, Francis Ford Coppola, parti avec femme (et maîtresse) et enfants aux Philippines pour tourner de mars 1976 à mai 1977, ce chef d’œuvre qui faillit le ruiner !

Il donna alors mission à Eleanor, son épouse, de réaliser un film sur le film : cela donnera Hearts Of Darkness (Au cœur des ténèbres), qu’elle accompagnera d’un journal de bord, Apocalypse Now Journal, enfin traduit, aujourd’hui, en français, aux éditions Sonatine.

Premières lignes de ce journal : Steve McQueen adore le scénario mais refuse d’interpréter le capitaine Willard. Et ce malgré les modifications apportées au personnage… Il n’imaginait pas d’être éloigné, durant un tournage aussi long, d’Ali Mac Graw !

Ce sera donc Harvey Keitel qui sera retenu… Lui-même viré au bout d’une semaine.

Et finalement, le rôle sera confié à Martin Sheen, qu’une crise cardiaque faillit emporter (on attendait des révélations sur les excès de drogues en tout genre… mais rien ici de croustillant !)

Et puis, Marlon Brando qui se pointe sur le tournage, obèse et rasé. Un typhon qui détruit les décors. Des repas italiens gargantuesques en pleine jungle...

Au bout du compte, voici deux récits d’un monde qui n’est plus : des actrices tellement borderline et trash qu’elles en devinrent des icônes (re)belles et tragiques, et des réalisateurs mégalos, tyrans, géniaux capables d’un chef d’œuvre… sinon rien !