Le « memo-gate » déstabilise le gouvernement pakistanais

Publié le 19 novembre 2011 par Journalpakistan @journalpakistan

Une note explosive qu’aurait envoyée le président pakistanais au chef d’état-major interarmées américain met en évidence les liens entre l’armée pakistanaise, al-Qaida et les talibans afghans.

Publié sur le Point.fr le 19 novembre

L’affaire a des allures de roman d’espionnage. Tout commence le 10 octobre dernier. Un homme d’affaires américano-pakistanais, Mansoor Ijaz, publie une véritable bombe dans le Financial Times. Dans un article de deux pages, il raconte comment un diplomate pakistanais l’a contacté le 9 mai 2011, une semaine après l’assassinat d’Oussama Ben Laden par un commando américain.

À le croire, ce diplomate lui aurait dicté une note à adresser au chef d’état-major interarmées américain, l’amiral Michael Mullen. Une initiative qui, toujours selon Mansoor Ijaz, viendrait directement du président pakistanais Asif Ali Zardari. Ce dernier était alors dans la crainte d’un coup d’état militaire alors que l’armée, accusée d’avoir caché Ben Laden, cherchait un bouc émissaire pour sauver la face…

Le président pakistanais aurait alors demandé aux Américains de faire pression sur l’armée pour qu’elle ne porte pas atteinte au régime civil. En échange, Asif Ali Zardari aurait promis la création d’un conseil de sécurité nationale qui aurait démantelé la S-Wing, une puissante organisation intégrée à l’ISI, l’agence de renseignement militaire, et souvent accusée de soutenir les talibans afghans dans sa lutte contre l’Otan.

Preuves

La publication de l’article provoque un électrochoc au Pakistan, où l’armée est une institution très puissante. Des centaines d’entreprises, une banque, une compagnie d’assurance sont ainsi entre ses mains. Elle contrôle également l’arsenal nucléaire et influence au plus haut niveau la politique étrangère d’Islamabad, en particulier vis-à-vis de l’Afghanistan. Soucieux d’éviter un conflit avec les militaires, le porte-parole de Zardari nie alors tout en bloc. Le 8 novembre, Michael Mullen dément lui aussi avoir reçu une quelconque note.

Sauf que l’affaire n’en reste pas là. Mansoor Ijaz entend prouver sa bonne foi, et réplique dans les colonnes du quotidien pakistanais The News quelques jours plus tard. Avec des éléments de preuves. Il publie des e-mails et des messages qu’il a échangés avec le diplomate pakistanais. Et selon ces conversations, il a bien été contacté par ce diplomate qui lui a effectivement dicté la fameuse note par téléphone le 9 mai. Mansoor Ijaz a ensuite envoyé cette note au diplomate pour validation par le président pakistanais. Finalement, le document a été remis à l’entourage de Michael Mullen le 11 mai par une source américaine proche de Mansoor Ijaz.

Visiblement embarrassé, Michael Mullen a alors dû revenir sur son démenti. Le 16 novembre, il confirme au site internet du mensuel américain Foreign Policy avoir reçu la note sans y avoir donné suite. Le « memo-gate », comme le surnomme la presse pakistanaise, prend de l’ampleur le lendemain. Mansoor Ijaz révèle à Foreign Policy que le diplomate qui l’a contacté est Husain Haqqani, l’ambassadeur du Pakistan à Washington. Le même jour, Foreign Policy publie la note envoyée à Mullen. (Pour lire le document, cliquez ici)

« Opportunité unique »

Outre le démantèlement de la S-Wing, le document détaille une stratégie en six points pour réduire l’influence de l’armée sur la politique pakistanaise. Depuis l’indépendance en 1947, les militaires ont dirigé le Pakistan pendant la moitié de son histoire à travers quatre coups d’État. Les régimes civils n’ont jamais remis en cause leur influence.

« Les autorités civiles ont aujourd’hui une opportunité unique de prendre le contrôle de l’armée et des agences de renseignement en se servant de leur complicité dans la cache de Ben Laden« , peut-on lire dans le document, qui n’est pas signé. Le président pakistanais promet une commission d’enquête qui identifiera ceux qui ont protégé Ben Laden. Il assure que les officiers et fonctionnaires responsables seront limogés. La note indique également que le Pakistan fera tout pour livrer aux Américains Ayman Al Zawahiri, le Mollah Omar et Sirajuddin Haqqani, le principal chef insurgé afghan. À défaut, le Pakistan autorisera les Américains à mener des opérations sur son sol pour les tuer ou les capturer. Ce qui revient à avouer que les trois hommes se cachent au Pakistan.

Ambassadeur rappelé

Afin de rassurer les militaires, le président Zardari a donc enchaîné les rendez-vous avec le général Kayani, le chef de l’armée. Islamabad a aussi rappelé son ambassadeur à Washington pour qu’il s’explique. Ce dernier devait atterrir au Pakistan samedi soir.

Impossible pour l’heure de vérifier l’authenticité des preuves présentées par Mansoor Ijaz. Beaucoup de questions demeurent : pourquoi Mansoor Ijaz a t-il été aussi bavard, déstabilisant ainsi le président pakistanais ? Pourquoi la présidence et l’ambassadeur Husain Haqqani seraient-ils passés par un intermédiaire pour contacter l’amiral Mullen au lieu de le solliciter directement ? Enfin pourquoi les Américains ont-ils refusé l’offre pakistanaise ?

Si elle était confirmée, cette affaire mettrait en évidence le soutien des militaires pakistanais aux talibans afghans et à certains groupes terroristes comme al-Qaida. Elle illustrerait aussi le désaccord entre l’armée et le gouvernement dans la guerre contre le terrorisme.