Faut-il désespérer des partis politiques ? Réponse à @marcvasseur et @isaway

Publié le 19 novembre 2011 par Variae

Il y a des semaines avec et des semaines sans. La gauche, par l’entremise de ses deux principales formations, le PS et Europe Ecologie – Les Verts, vient incontestablement de passer quelques sales jours, même si je pense que les bénéfices à long terme peuvent largement en compenser les désagréments immédiats. Pour décrire ces mésaventures, j’ai souvent vu les mêmes mots revenir : « vieille politique ». Précisant cette lassitude, @isaway et Marc Vasseur publient sur leurs blogs respectifs un bilan critique de leur engagement au PS puis à EELV, qui sonne comme un réquisitoire contre la politique en parti.

 

Il n’est jamais agréable, quand on est soi-même un militant politique, de voir des camarades prendre le chemin de la sortie, surtout quand on connaît la difficulté à prendre la voie inverse. J’aurais envie de leur répondre que les incidents que nous venons de traverser relèvent des vicissitudes ordinaires de la vie partidaire, et que leur impact négatif est aussi une sorte d’hommage du vice à la vertu, de déception par contraste avec les espoirs soulevés d’une part par la grande réussite démocratique des primaires socialistes, et d’autre part par la personne d’Eva Joly. En même temps, je sais bien que pour l’une comme pour l’autre, c’est plus l’accumulation de désillusions qui joue, que telle ou telle sortie de route passagère.

Cette déception, ce rejet des partis sont courants à gauche. Ils peuvent se fonder sur des lacunes et des vices indiscutables, en matière de fonctionnement, de renouvellement, d’ouverture sur le reste de la société. Ces problèmes sont – au PS en tous cas – souvent formulés et conceptualisés à (très) haute voix dans la vie interne du parti, la « rénovation » étant un slogan qui fait toujours mouche en réunion de militants. Slogan suivi de réalisations plus concrètes – les primaires socialistes en sont par exemple le résultat. Extérieurement aux partis, l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux a également contribué à la fluidification et au décloisonnement des échanges entre militants, comme en témoigne par exemple ce blog.

Mais à côté de ces griefs organisationnels qui me semblent être malgré tout progressivement traités, je vois aussi une source plus subjective et plus puissante au désamour envers les partis. C’est le décalage, brutalement ressenti, entre les idéaux portés et affichés, et les pratiques internes. L’idéalisme militant voudrait que les partis qui parlent de changer le monde soient déjà, dans leur vie propre, une vitrine du nouveau monde qu’ils appellent de leurs vœux. L’idéalisme militant se heurte à un constat simple : les partis sont des organisations humaines et, en tant que tels, sont travaillés par des logiques et des tensions communes à toutes les organisations humaines. Ambitions. Arrangements. Passe-droits. Combines. Haines personnelles. Cliques et bandes. Oligarchies internes. Etc. L’organisation politique a ses spécificités : on y voit du bien et du mal en proportion différente que dans d’autres milieux, plus de dévouement bénévole, mais plus aussi de mélange malsain entre relations interpersonnelles, convictions et intérêts matériels. C’est ainsi. Et dans ce monde, small is not beautiful : bien souvent, les « nouvelles formes de militantisme », mouvements et groupuscules d’avant-garde en tous genres, se révèlent encore plus décevants que les autres. Parce que moins de règles, moins de cadre, moins de hiérarchie apparente, cela veut aussi dire plus de place à la loi du plus fort. Comme en Assemblée Générale, c’est celui qui gueule le plus fort qui l’emporte.

On peut bien travailler sans cesse à améliorer le fonctionnement des partis, il faut se faire une raison : ils n’échapperont jamais aux vices et aux vertus du reste de la société. Il n’y a pas d’avant-garde éclairée du prolétariat. Juste un rassemblement d’hommes et de femmes probablement un peu plus conscientisés, comme on dit, que la moyenne – ce qui n’est déjà pas si mal.

Pour changer le monde, il faut commencer par le prendre tel qu’il est, aurais-je envie de dire en bon réformiste que je suis. J’y ajouterai une observation. Trop souvent, la mauvaise monnaie militante chasse la bonne, car on n’est jamais déçu quand on n’a pas de grands idéaux. Quitter un parti par rejet d’individus ou de pratiques, c’est laisser le champ libre à ces individus, et à ces pratiques, et finalement manquer à ses idéaux. Le nombre fait la force, le malthusianisme renforce la médiocrité. Ne l’oublions pas, et sachons mâtiner l’idéalisme de pragmatisme. C’est ce que j’appelle l’optimisme.

Romain Pigenel