Quand le Trésor nous plaçait sous la dépendance des marchés

Publié le 19 novembre 2011 par Edgar @edgarpoe

La menace sur le triple A français est maintenant l'obsession numéro 1 du gouvernement.

La perte du triple A renchérirait considérablement le financement de la dette publique. Et le financement de la dette publique nous fragilise d'autant plus que la dette est portée par des fonds étrangers, plus enclins à vendre des titres français que la légendaire veuve de Carpentras ou le pharmacien de Tulle.

Il est amusant de noter que "l'internationalisation de la dette française" est une politique volontaire menée par le Trésor depuis  plus d'une dizaine d'années.

De façon délibérée, le Trésor Public a cherché à accroître la part de la dette détenue par des investisseurs étrangers.

Comme l'explique une note du Ministère des Finances de 2000,  l'Agence de la dette, devenue depuis Agence France Trésor, s'est vue fixer pour 2001 l'objectif de "contribuer à la poursuite de l'internationalisation de la dette française (actuellement 28 % de la dette française est détenue par des non-résidents) par une politique active de promotion de la dette".

Ce n'est qu'en dix années plus tard que le Trésor s'aperçoit du caractère un peu dangereux de cette politique. Comme le note l'Agefi en mars 2011 :

"La part de la dette française aux mains des non résidents est repartie à la hausse au deuxième trimestre, après trois trimestres de repli. Elle atteignait 66,2% à fin juin contre 65,2% trois mois auparavant, selon le dernier bulletin mensuel de l' Agence France Trésor. Une trop grande dépendance à l'égard des non-résidents est désormais considérée comme un facteur de fragilité en cas de tensions. La part des non résidents a atteint un pic de 71,1% en juin 2010 après une décennie passée à internationaliser la dette de la France."

En 1996, ce taux était de 13%...

Avant de crier au scandale, on peut admettre que, la dette augmentant en volume, il était nécessaire d'en chercher une partie croissante à l'étranger, pour ne pas absorber l'intégralité de l'épargne domestique. Néanmoins, l'épargne des français est abondante et pourrait suffire à absorber la plupart de la dette nationale : 5 000 milliards d'euros en mars 2011 pour 1 600 milliards de dettes - lire ce papier des Echos qui se demande si l'on ne pourrait pas utiliser plus utilement l'épargne des français ; lire également les commentaires qui expliquent que toute cette épargne n'est pas immédiatement disponible, une note de la Banque de France indique 3 600 milliards d'euros de placements financiers au 1er trimestre 2011.

 Faut-il crier à la trahison ? Oui et non.

Si l'on est très mesquin, on peut prendre en compte le fait que, pour placer les obligations de l'Etat à l'étranger, les cadres de l'Agence France Trésor se promènent à travers la planète, en des road shows qui les mettent en contact avec les banques de toute la planète - pas mal pour pantoufler.

 Plus généralement, il faut incriminer l'angélisme ambiant, la volonté de se reposer sur les bienveillants "marchés", plutôt que de dépendre du bas peuple. Quand on répète toute la journée que la France est bien trop petite pour... (ajouter le membre de phrase adéquat, de toute façon pour l'élite technico-administrative de notre beau pays, la France est trop petite pour tout !), il est difficile d'admettre que la France serait bien assez grande pour se financer seule !

Descartes, le blogueur, a écrit un superbe billet sur ce thème du défaitisme permanent de nos élites. Un extrait : "Dans les années 1930 déjà, nos élites ne juraient que par l'Allemagne. Ah, tous ces jeunes fiers, sportifs, bien élevés ! Ah, toutes ces usines, ces trains, ces autouroutes ! Même les pires travers étaient justifiées. Hitler ? C'était notre faute à nous français, qui avions imposé le "diktat" de Versailles (1). Dans les années 1960, la fascination s'était transportée vers les Etats-Unis, et le Minc du temps, qui s'appelait Servan-Schreiber, nos expliquait qu'il fallait de toute urgence devenir comme les américains, vibrants, modernes et sans histoire. A la fin des années 1980, ce n'était plus les USA qui fascinaient nos dirigeants, mais le Japon. On a décrété que l'avenir était au Toyotisme et qu'il était urgent de faire chanter "merci patron" dans les usines parce que le XXIème siècle serait certainement japonais." Sur le même thème, on pourra écouter avec intérêt la conférence de François Asselineau, président de l'UPR, sur l'histoire de France.


François Asselineau : l'Histoire de France 1/7 par patria_o_muerte

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 Donc le Trésor n'est pas particulièrement coupable d'avoir mené une politique imbécile depuis plus d'une dizaine d'années, il n'est que le reflet de l'aristocratisme foncier des élites françaises, qui ne font bien souvent que tolérer la République, et sont ravies d'édifier une Europe dégagée des pesanteurs du débat politique (comme vient de le dire Van Rompuy en Italie, le pays "a besoin de réformes, pas d'élections". Ils vont être servis).

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 Inutile de dire qu'entre un Hollande conseillé par un Jouyet qui est la quintessence de la pensée du Trésor dans toute son arrogance, et un Sarkozy s'appuyant sur un Guaino bien plus républicain, la bataille n'est pas gagnée. Ce clivage est probablement, en ce moment, bien plus structurant que le clivage droite/gauche.