Terre Noire – Les exilés du Tsar, de Michel Honaker

Publié le 21 novembre 2011 par Acdehaenne

1887, Saint-Pétersbourg. Jeune compositeur, Stepan réjouit par sa musique l'esprit du tsar. Mais tant de succès dérange. Alors, le jeune homme est accusé de complot contre le pouvoir. En Russie, il n'y a pas de place pour les traîtres. Stepan doit quitter ses terres d'Ukraine qu'il chérit tant : le sombre domaine de Terre-Noire ; et abandonner sa seule alliée, Natalia. Très vite, son exil prend la couleur de la haine...

Je vous avais déjà parlé de Michel Honaker à l'occasion de son résolument science-fictif Les buveurs de rêves. Bien que littérature jeunesse, j'exprimais toute l'affection que je portais à ce roman malgré les années passées. Terre Noire conserve cette emprunte juvénile même s'il l'affiche moins explicitement. Mieux encore, il semble même alléchant. Terre Noire – Les exilés du Tsar est en effet le premier volet d'une trilogie. D'abord écrit en tant que court roman, faisant peu de mystère quant au public visé, Michel Honaker annonce dans la préface qu'il a voulu densifier son récit.

Ainsi, le roman gratifie des talents de l'auteur, déjà aperçu avec Carson Ladyko, le détective chasseur de noctambules : la personnalité des personnages est riche et évolutive, les ambiances palpables. Cependant, il présente aussi de grosses lacunes dans la profondeur de son histoire et des relations qui unissent les personnages.

Stepan est un pavé dans le jardin de la famille Danilov, riches aristocrates russes de la fin du XIXème siècle. En effet, la mère, philanthrope, décida un jour d'adopter l'un des enfants de l'orphelinat. Le talent de pianiste de Stepan, bien souvent « punis » dans la salle de musique, autant que son attitude farouche, parvinrent à séduire la baronne. Il devint alors un Danilov comme Natalia et Volodia -les fils « légitimes »- bien qu'il voulut conserver son nom d'origine : Tsakarov. Déjà doué, Stepan va s'améliorer aux contacts de son maître Tchaïkovski et des autres professeurs et membres du conservatoire. Jusqu'à la consécration lors d'un récital donné en présence du Tsar lui même, largement sensible au talent du jeune homme.

Cependant, la Russie d'alors vit des instants troubles. Des groupes de « dangereux anarchistes », certains diront d'idéalistes, se réunissent régulièrement. Parmi eux, d'anciens camarades de Stepan qu'il eut mieux fait d'éviter. En effet, par un concours de circonstances bien étranges, la police du Tsar lance l'offensive. Plus heureux que ses camarades, Stepan est sommé de quitter le territoire. Natalia aura beau tenter d'intervenir auprès du Tsar pour sauver ce « frère » qu'elle chérie tant, les membres survivants au décès de la baronne ne l'entendent pas de cette oreille. Et Stepan, accompagné de Liocha, aura bien du mal à se faire à la vie loin de Terre-Noire, seul lopin de terre où il était bienvenue.

Terre Noire est intéressant sur plusieurs points. D'abord, le style épistolaire, alternant avec des extraits de journaux, donne un vrai dynamisme au récit. En alternant les points-de-vue de Natalia et de Stepan, Michel Honaker préserve, si ce n'est un suspense -on y reviendra- au moins un rythme haletant. Ensuite, accordons au roman une ambiance, que j'apprécie, dépaysante. Enfin, les caractères des protagonistes sont certes figés mais aussi attachants. Stepan, comme Natalia, évoluent. Les personnages secondaires jouent un rôle de faire-valoir, mais le font bien, accentuant presque mécaniquement le destin croisé des deux jeunes gens.

Malheureusement, chacun des points positifs que je viens de soulever présentent systématiquement un point plus dommageable. Le dynamisme et le mystère qui devrait entourer l'avenir de Stepan et Natalia est douché par des ficelles trop visibles. La Russie dépeinte est attrayante mais semble caricaturale à souhait. Tous les personnages ainsi que l'intrigue manquent de profondeur. Ainsi, au delà de l'histoire contée, il est difficile d'y trouver un autre niveau de lecture.

 

Pour conclure, Terre-Noire n'est pas un mauvais roman, loin de là. Je pense que je lirai les deux autres volets avec plaisir. Il faut surtout le prendre pour une récréation, vite lue (ne vous fiez surtout pas aux quelques 350 pages environs : une police de caractère habituelle le réduirait facilement à 200), et peut-être vite oubliée. J'imagine qu'un-e adolescent-e y trouverait facilement son compte pour peu qu'on n'y mette pas trop d'attentes. En effet, reconnaissons au moins cela à Honaker : ce n'est pas un roman « pour fille » ou « pour garçon » mais bien une littérature « de jeunesse » avec les qualités et les limites qu'un adulte peut y trouver.

 

Note : 

 

Les Murmures.