Rothbard et la reconstruction du système monétaire

Publié le 22 novembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Selon Murray Rothbard, le contrôle gouvernemental du système monétaire est un gâchis pour l’économie. Dans un essai daté de 1974, il a retracé l’histoire des grandes étapes de la monopolisation monétaire de l’État, avant de proposer une reconstruction du système monétaire fondée sur l’étalon-or.

Par Pierre-Guy Veer (*), depuis le Québec
Un article du Québécois Libre

L’or a été, pendant des millénaires, l’objet de choix comme unité de compte et comme moyen d’échange. Facile à reconnaître, à transporter et à transformer en pièces de monnaie, homogène et durable; voilà quelques-unes des qualités qui ont avantagé le métal jaune (et, dans une moindre mesure, l’argent) comme monnaie.

Malheureusement, comme toute chose qui fonctionne bien seule (ou presque), l’État doit y étendre ses tentacules. Surtout depuis la Renaissance, il s’est arrogé de plus en plus le contrôle du système monétaire et l’a complètement corrompu. Les transformations progressives nous ont donné notre système monétaire moderne: des monnaies fiduciaires flottant les unes par rapport aux autres, une inflation galopante en temps de paix, un système de réserves bancaires fractionnaires qui est, ni plus ni moins, que de la fraude légalisée et, bien sûr, des libertés individuelles encore plus restreintes. Murray Rothbard, célèbre économiste de l’École autrichienne, a dénoncé ce système il y a près de 50 ans dans un essai, qui a été publié sous forme de livre en 1974, sous le titre The Case for a 100 percent Gold Dollar. J’ai eu le privilège de lire et de traduire ce livre sous le titre Plaidoyer pour un dollar pleinement garanti par l’or.

La thèse centrale de ce livre – le contrôle gouvernemental du système monétaire est un gâchis pour l’économie – est on ne peut plus d’actualité. En effet, la crise actuelle est facilement attribuable à l’intervention du gouvernement dans le système monétaire, notamment le « fort encouragement » qu’il a envoyé aux banques à prêter à n’importe qui, la mise en commun des prêts consentis par ces « encouragements », le maintien de taux d’intérêts artificiellement bas par l’entremise de la Fed (banque centrale des États-Unis), le Community Reinvestment Act, renforcé sous Bill Clinton, etc. N’eût été de ces interventions, la crise actuelle – prédite par les économistes autrichiens depuis déjà 2003 [1] – n’aurait probablement pas eu lieu.

La destruction lente et progressive du système monétaire

Dans son excellent essai, Rothbard retrace les grandes étapes de la monopolisation monétaire de l’État. Cela a commencé par le monopole de la frappe, sous prétexte que les frappeurs de monnaie privés pourraient frauder leurs clients en mettant moins d’or qu’ils ne le devraient dans les pièces. Chacun sait qu’il n’y a aucun risque que l’État se prête à ce jeu frauduleux…! De plus, si l’on utilise ce raisonnement, il faudrait abolir tous les contrats parce que quelques escrocs en rédigent qui sont frauduleux ou ne les respectent tout simplement pas.Le monopole de la frappe par l’État a créé, n’en déplaise aux opposants à la frappe privée, ce qu’on appelle la loi de Gresham: les bonnes pièces de monnaie sont amassées tandis que les moins bonnes (usées ou avec un défaut de fabrication) demeurent en circulation. Cette loi s’applique quand une pièce de monnaie a une valeur immuable; peu importe si elle pèse maintenant 25 grammes, si la pièce dit qu’elle vaut 30 grammes d’or, alors elle vaut 30 grammes d’or. C’est comme si un kilogramme équivalait soudainement à 750 grammes.

Ce monopole de frappe, et l’immuabilité de la monnaie, a engendré le second problème: l’insistance sur le nom de la monnaie et non sur sa masse. Pour ceux qui l’ignoraient, toutes les monnaies nationales étaient, de prime abord, des unités de masses, au même type que le mètre est une unité de mesure ou la seconde est une unité de temps. La livre sterling en est sans doute le meilleur exemple, puisque l’unité de base de la monnaie anglaise était justement ça: une livre de monnaie d’argent. Le dollar des États-Unis, lui, était 1/20 d’once d’or (1,56 gramme). D’ailleurs, jusqu’au milieu du XIXe siècle, des pièces de monnaies étrangères (en or ou en argent) circulaient sans aucun problème aux États-Unis. Malheureusement, afin de renforcer l’État central, Washington et les autres capitales occidentales ont interdit les monnaies étrangères dans leur pays pour favoriser la monnaie nationale, ce qui accordait encore plus d’importance au nom et non à la masse.

L’étape finale de la perdition du système monétaire fut l’invention des banques centrales. Créées pour supposément stabiliser le système financier, elles n’ont fait que le contraire, comme en fait foi la Grande Dépression, causée par une décennie de taux d’intérêt trop bas. Elles ont également encouragé cette fraude légalisée nommée réserves fractionnaires.

Jadis, les banques devaient avoir en tout temps assez d’espèces pour rembourser sur demande quiconque voulait en avoir (un système appelé réserves intégrales). Elles n’avaient pas le choix; si, pour une raison quelconque, elles ne pouvaient remplir leurs obligations contractuelles, la banque faisait faillite parce que les gens paniquaient et avaient peur de ne pas ravoir leur propriété (les espèces). Mais à cause de l’intervention des gouvernements et des banques centrales, cette crainte est disparue. Le gouvernement garantit aux banques qu’il ne les laissera pas faillir – ce qu’il a fait ces dernières années, et à coup de billions de dollars.

Et n’oublions pas qu’en ayant le monopole de l’émission de la monnaie, l’État peut – et l’a fait constamment dans le passé – imprimer  autant d’argent qu’il le souhaite. Il peut ainsi s’avantager, de même que les lobbys assez puissants, au détriment de la population et de façon nettement plus subtile qu’avec une hausse d’impôts ou de taxes. Cette surémission de billets a été le dernier clou dans le cercueil de l’étalon-or.

Un retour à un système monétaire honnête

Après avoir montré ce qui a détruit le système monétaire, Rothbard se propose de le reconstruire. Sa proposition est audacieuse: il veut non seulement que nous retournions à l’étalon-or, mais il veut que tous les billets de banques et les comptes bancaires – puisqu’ils sont pareils d’un point de vue monétaire: une promesse de remboursement en espèce en tout temps – soient garantis par l’or. Que ça se fasse par une déflation de la masse monétaire actuelle ou par une augmentation exponentielle du prix de l’or pour refléter la masse monétaire actuelle [2], ou par un mélange des deux, il faudra que l’opération se fasse un jour ou l’autre. L’argent des autres finira par manquer, dixit Margaret Thatcher.

Néanmoins, même si l’on venait à prendre ce chemin du salut, l’économie ne s’en porterait pas nécessairement mal. En effet, une suggestion de Rothbard, lors de la première publication de son essai, est maintenant largement utilisée par les banques: les certificats de dépôt (CD). Ces obligations, de même que les fonds mutuels du marché monétaire, sont d’excellents outils d’épargne qui ne créent aucune inflation. Pour une période variable de temps – le client a le dernier mot, comme pour tout ce qui est  sur le marché libre –, une personne achète ladite obligation, qui devient en fait une nouvelle promesse de remboursement en espèce, plus intérêt. L’argent est ainsi prêté à un particulier ou à une entreprise, qui doit le retourner à échéance.

Ainsi, contrairement aux prêts bancaires actuels, aucun nouvel argent n’est créé puisque la banque ne prête pas de fonds sans avoir les espèces (or ou argent) nécessaires. D’ailleurs, selon la proposition de Rothbard, tous les métaux précieux seraient remis entre les mains des particuliers et des banques, facilitant ainsi l’émission de ces obligations. De plus, ce seraient les banques qui auraient la responsabilité d’émettre des billets de banque ou des dépôts, selon ce que les clients veulent.

Éventuellement, cette décentralisation monétaire ferait que tous les noms de monnaie (dollar, yen, euro, peu importe) deviendraient obsolètes et seraient remplacés par des grammes d’or. Adieu taux de changes et bonjour monnaie internationale stable et libre d’intervention des gouvernements. La libéralisation serait complétée en privatisant, une fois de plus, la frappe de monnaie.

Ce programme, je le concède, peut paraître radical. Mais si les libertariens « lâchent leur bout » et cèdent trop de terrain afin de plaire au plus de monde possible, alors il n’y a que le statu quo qui reste possible. Un tel monde se reflète bien dans le Québec d’aujourd’hui, et c’est exactement ce que le livre de Rothbard veut combattre.

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Article originellement publié sur le Blog du QL, le 15 novembre 2011, reproduit avec l’aimable autorisation du Québécois Libre.

(*) Pierre-Guy Veer est journaliste indépendant.

Notes :

[1] Un document, traduit par moi-même, racontant les succès des prédictions autrichiennes au cours du dernier siècle, dont celles sur la bulle immobilière, sera disponible lors de la conférence de Cambridge House, au kiosque de l’Institut Ludwig Von Mises à l’hôtel Hilton Bonaventure de Montréal, les 18 et 19 novembre.

[2] Cela suppose que le dollar des États-Unis est 35 $ l’once, tel que décrété par les accords de Bretton Woods. Mais rien n’empêche de trouver une nouvelle définition pour la masse du dollar.