Les ultimes fascinations pour l’Orient

Publié le 22 novembre 2011 par Les Lettres Françaises

Les ultimes fascinations

pour l’Orient

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Marroco - Aquarelle

Les peintres orientalistes ne sont plus à la mode. Il est vrai qu’ils appartiennent à un monde révolu et que la notion d’Orient a beaucoup évolué. La réalité qu’ils transposaient dans leurs peintures au XIXe siècle n’a plus rien à voir avec celle que nous connaissons. Ces artistes ont été amenés à traverser la Méditerranée, à parcourir des déserts, à affronter des dangers, à se plonger dans l’esprit et la lettre de la culture musulmane, à pousser toujours plus loin vers l’Est, jusqu’aux rives de l’Indus comme Alexandre le Grand, ils représentent des expériences très diverses. Leur intérêt a pu être strictement anthropologique, ou commandé par le goût du dépaysement et de l’exotisme. Eugène Delacroix y a trouvé quelque chose d’aussi grand que l’Antiquité classique, mais à portée de main. D’autres, comme Ingres ou Gérôme, un idéal libidineux, une pure fantasmagorie érotique…

Entre tous ces aventuriers de l’esthétique, Jean-Louis Augé, conservateur en chef des musées de Castres, a voulu exhumer la figure pour le moins attachante de Mariano Fortuny y Marsal, le père de ce Fortuny qui, à Venise, a été l’un des grands maîtres de la mode de la Belle Époque. Ce Catalan né en 1838 a subi l’influence du Costumbrismo des romantiques espagnols. Brillant élève à l’Académie des beaux-arts de Barcelone, il reçoit une bourse pour achever ses études à Rome entre 1858 et 1860. Puis la Députación l’envoie au Maroc pour suivre la campagne militaire du général Joan Prim. Alors qu’il dessinait les victoires du corps expéditionnaire, il se passionna pour la culture marocaine : il se vêtit à la façon des autochtones et apprit l’arabe. Il dut retourner à Rome, mais obtint une autre bourse pour travailler quatre mois à Tétouan, en 1862. Sitôt rentré dans son atelier romain, il peignit la Bataille de Tétouan, puis la Bataille de Wad-ras. Il se mit à collectionner des antiquités hispano-mauresques et exploita ce filon qui lui valut un franc succès et l’intérêt du grand marchand Alfred Goupil, qui exigea delui une exclusivité. Tout en voyageant dans toute l’Europe, Fortuny s’attacha longtemps à ces sujets orientalistes, comme la Fantasia arabe et le Chamelier. En Espagne, il vécut un temps à Grenade et fut ébloui par l’Alhambra, qui raviva son goût pour le monde arabe. S’il a élargi considérablement l’arc de ses passions, ce dernier n’a jamais cessé de l’attirer jusqu’au jour où, près de Naples, la malaria le frappa en 1874. André Maire est presque un cas, mais à l’opposé de Fortuny. Il se spécialise dans l’art orientaliste alors que la grande majorité des artistes de son temps s’en détournent : Klee, Marc, Matisse, Camoins et tant d’autres traduisent leur rencontre avec l’Orient par des manifestations plastiques et assez peu par le biais des sujets qu’ils abordent. Il subit l’influence d’Émile Bernard, ami de Van Gogh et de Gauguin, qui était allé vivre en Égypte de 1903 à 1906. Versé dans l’infanterie coloniale, André Maire découvre l’Indochine et décide de rester à Saigon pour y enseigner. Il s’initie alors à la pratique de la sépia si bien que, de retour en Europe, quand il expose àla galerie Pesaro de Milan, en 1922, le dessin tient une place importante. Quatre ans plus tard, il montre une centaine d’oeuvres sur Angkor et sur l’Italie àla galerie Charpentier et publie un livre sur l’Indochine avec 40 gravures. Ses visions de l’Asie du Sud-Est sont à la fois méticuleuses et oniriques. Mais il n’embrasse pas la cause de l’art moderne qui, de Kandinsky à Marquet, était allé chercher en terre étrangère de nouvelles incitations plastiques. Quand il se rend à Venise, en 1927, il la traduit dans des termes oniriques. Plus le temps passe, plus il traite ses sujets avec une grande liberté. Il simplifie les traits dans ses dessins d’Égypte et d’Espagne et, lorsqu’il se rend en Inde en 1939, il accentue le caractère irréel de ce qu’il y voit, comme le Bouddha dormant veillé par son disciple favori. Allant une dernière fois contempler les ruines fastueuses d’Angkor au début des années 1950, ses dessins métamorphosent les temples sculptés en replaçant les statues du musée de Phnom Penh dans leur contexte original. C’est ainsi qu’il a été le champion d’un art franchement « à rebours », qui ne repose plus que sur la nostalgie et le rêve…

Giorgio Podestá

« Fortuny, oeuvres graphiques dans les collections du musée Goya », musée Goya, 176 pages, 30 euros.
 « André Maire, la Piscine », musée d’Art et d’Industrie, Roubaix, jusqu’au 1er février 2009. Catalogue : Loredana Harscoët-Maire, Gallimard, 176 pages, 35 euros.
 

N°55 – Janvier 2009