“Toutes nos envies” de Philippe Lioret

Publié le 14 novembre 2011 par Boustoune

Depuis ses débuts, Philippe Lioret est partisan d’un cinéma “populaire”, dans tous les sens du terme.

Populaire, déjà, parce que créant des émotions universelles – rires ou larmes – qui sont capables d’atteindre un large public.
Chacun des films du cinéaste a su attirer  les spectateurs dans les salles, les faire rire (Tenue correcte exigée, Tombés du ciel), les charmer avec sa petite musique romantique douce-amère (Mademoiselle) ou les émouvoir aux larmes (Je vais bien ne t’en fais pas), avec à chaque fois le même bonheur.
Ses détracteurs fustigent les grosses ficelles qu’il emploie parfois, mais force est de constater que tous ses films sont aussi efficaces les uns que les autres, réussissant chaque fois à nous toucher par leur générosité et leur humanité.

Populaire aussi, parce que proche des préoccupations du peuple. A chaque fois, ou presque, il entremêle finement sa trame principale avec un thème de fond traitant du monde dans lequel nous vivons, à travers des sujets de société en phase avec l’actualité, invitant à la réflexion ou à l’indignation.
Dans Tombés du ciel, il s’inspirait de l’histoire vraie d’un réfugié iranien qui a vécu pendant 18 ans dans le terminal 1 de l’aéroport Roissy Charles De Gaulle et parlait de frontières, de sans-papiers et de tracasseries administratives. Un thème qu’il reprendra sous une autre forme dans Welcome qui traite du centre de Sangatte et des pressions exercées sur les citoyens français qui aident les sans-papiers.
D’une certaine façon, L’équipier parlait aussi du rejet d’un ”étranger”, à travers le combat d’un homme essayant de trouver sa place dans une communauté bretonne très fermée et hostile. Et en filigrane, il était aussi question de la Guerre d’Algérie.
Tenue correcte exigée et Mademoiselle, parlaient, eux, sur un ton léger et doux-amer, de différences de classes sociales.

Philippe Lioret continue dans cette logique avec Toutes nos envies, adaptation très libre du roman autobiographique d’Emmanuel Carrère, “D’autres vies que la mienne” (1).
Pour le côté mélodrame, il n’a conservé du texte original que l’histoire d’une jeune femme, mère de deux jeunes enfants, qui apprend qu’elle est atteinte d’une tumeur cérébrale incurable et décide de taire cette cruelle réalité à ses proches, afin de profiter pleinement de ses derniers jours loin des hôpitaux.
Pour le côté social, il met en place un réquisitoire contre les pratiques douteuses des sociétés de crédit qui récupèrent de l’argent sur le dos des plus démunis, non sans les avoir préalablement dupés à l’aide de publicités mensongères ou de textes informatifs écrits en caractères trop petits…

Audacieux amalgame, assez curieux de prime abord et potentiellement casse-gueule…
Avec son histoire de maladie incurable, le risque était grand, en effet, de tomber dans le piège du chantage à l’émotion, du pathos grossier. Avec sa déclaration de guerre aux sociétés de crédit, il pouvait par ailleurs verser dans le manichéisme facile, la caricature…
Et pourtant, à l’écran, cela fonctionne relativement bien.
Grâce, surtout, aux comédiens, tous impeccables.

On sait depuis longtemps que Vincent Lindon excelle dans ces rôles de battants au coeur tendre, luttant avec leurs moyens contre les injustices avec fougue et enthousiasme, qu’il est capable de faire passer l’émotion sans en faire des tonnes, en un simple regard, un sourire triste. Il confirme encore, avec ce film, qu’il est l’un de nos tous meilleurs acteurs et Philippe Lioret, après Welcome, nous démontre une fois de plus qu’il sait exploiter au mieux ses capacités de jeu.
Marie Gillain aussi a su livrer de belles performances par le passé (on se rappelle de ses débuts fracassants avec Marie et L’Appât) mais comme elle tourne (trop) peu et tient (trop) rarement les rôles principaux, on avait un peu tendance à oublier ce dont elle est capable. Ici, elle est profondément touchante sans jamais verser dans le pathos, et l’énergie qu’elle investit dans son personnage de jeune juge idéaliste est communicative.
Aux côtés de ce superbe duo, les seconds rôles réussissent malgré tout à exister. Saluons les performances d’Amandine Dewasme, Laure Duthilleul, Pascale Arbillot, Isabelle Renauld et Yannick Renier.

Mais la mise en scène de Philippe Lioret est aussi pour beaucoup dans la réussite du film. Elle reste constamment sobre, toute en élégance et en finesse, réussissant à transmettre au spectateur ce sentiment d’urgence ressenti par le personnage qu’incarne Marie Gillain et à insuffler de la vie dans ce film sur lequel rôde constamment la mort.
Le seul bémol que l’on est obligé de faire concerne la partie “sociale” du film. Non pas que le sujet ne soit pas intéressant, loin de là! Mais au fil des minutes, il est relégué au second plan, vampirisé par la partie mélodramatique. Le cinéaste choisit alors de privilégier l’émotion. On peut le comprendre, mais ceci se fait au détriment de sa thématique autour des contrats douteux des sociétés de crédit. Lioret donne alors l’impression de ne pas aller au bout de sa démarche, d’abandonner son dossier en cours de route, contrairement à Welcome, par exemple…

Heureusement, le message passe quand même très clairement : Les pratiques des sociétés de crédit, souvent à la limite de l’escroquerie, sont clairement montrées du doigt. Elles allèchent les consommateurs en leur faisant miroiter des réserves d’argent qui leur permettront de réaliser toutes leurs envies – d’où le titre du film – mais n’annoncent pas vraiment, ou alors en tous petits caractères en bas de page, le coût réel de ces crédits. Les clients les plus démunis finissent par se retrouver dans l’incapacité de payer. Avec les pénalités de retard, les taux d’intérêts trop élevés, l’utilisation de ces réserves d’argent leur coûte bien plus cher qu’elle ne le devrait…  Et s’il ne peuvent vraiment plus rembourser, l’huissier se saisit de tous leurs biens.
Mais avant d’en arriver à cette extrémité, il y a tout un engrenage absurde où les organismes de crédit continuent de proposer de nouvelles réserves d’argent aux clients déjà surendettés, ce qui ne fait qu’accentuer leurs difficultés financières. Un vrai cercle vicieux…
Alors que, crise oblige, les offres de crédit à la consommation fleurissent, promettant des taux alléchants et des réserves d’argent conséquentes, le film a le mérite de rappeler que ces contrats engagent la responsabilité des emprunteurs et que les intérêts de ces prêts sont souvent très élevés, mais aussi que le consommateur a aussi des droits, et que les sociétés de crédit ne peuvent pas faire n’importe quoi – et surtout pas de la publicité mensongère.

Et puis, il induit une réflexion sur la notion de justice. Garantir la justice, ce n’est pas uniquement veiller à la bonne application d’une loi ou d’un contrat, c’est aussi une affaire de morale, de bon sens. Est-ce juste qu’une famille défavorisée qui a bénéficié d’un crédit à la consommation et a eu des difficultés à le rembourser à un moment donné se retrouve engagée dans une longue procédure juridique, contrainte à payer des intérêts et des agios démesurés qui l’étrangle encore davantage. Et ce, alors même que le montant initial du prêt a déjà été intégralement remboursé. Ne peut-il pas y avoir d’aménagement de cette dette?

Enfin, ce film est aussi une bouffée d’oxygène par les valeurs qu’il défend. A une époque où on nous explique qu’il va falloir faire des efforts budgétaires parce que les pays occidentaux, et notamment les pays de l’Union Européenne, se retrouvent à la merci des pouvoirs financiers, voilà une oeuvre qui prône la solidarité entre les hommes, la force du collectif, de l’engagement, du combat, qui entend instiller un sentiment de révolte, de rébellion contre un système injuste avec lequel les plus fortunés s’enrichissent encore et encore sur le dos des plus faibles.

Alors oui, Toutes nos envies  n’est pas un film parfait. Ce n’est sans doute pas le film le plus abouti de Philippe Lioret et les admirateurs du roman d’Emmanuel Carrère se sentiront peut-être frustrés de cette adaptation très libre. Mais c’est un film généreux et débordant d’humanisme, à l’image de son réalisateur. Un film qui secoue, qui émeut, qui donne envie de se battre pour ce qui est juste… Un film qui fait du bien.

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Toutes nos envies
Toutes nos envies

Réalisateur : Philippe Lioret
Avec : Marie Gillain, Vincent Lindon, Amandine Dewasme,
Yannick Renier, Laure Duthilleul, Pascale Arbillot
Origine : France
Genre : généreux
Durée : 2h00
Date de sortie France : 09/11/2011
Note pour ce film : ●●●●○
contrepoint critique chez : Le Monde

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