Luminothérapie

Par Pierre-Léon Lalonde
J'ai l'humeur aussi grise que le temps qu'il fait. La soirée a été aussi ordinaire que d'habitude et les conversations à bord du véhicule tout aussi dépouillées que les arbres de la ville.
Faut dire que je n'y mets pas trop du mien. Surdose de jasage météorologique et tout le monde sait que les conditions déroutent. J'ai bien failli m'énerver quand cet indigné des indignés bien blotti dans son pardessus en mohair puant le vieux cigare s'est demandé pourquoi les forces antiémeutes n'avaient pas encore fait le ménage au carré Victoria. J'ai continué de rouler en écoutant ses idées bien arrêtées.
Et j'ai roulé et encore roulé dans des rues aussi cabossées que mon âme.
À la lumière au coin de Mont-Royal et de Saint-Denis, je m'arrête derrière trois autres taxis tout aussi inoccupés que moi. C'est alors que je la vois.
Derrière la vitrine du restaurant Fameux Smoke-Meat, encadré par un montant de la devanture et deux dos qui lui font face, cette femme est là, assise sur une banquette, assise dans un éclairage qui met sublimement son visage en valeur. Mon regard s'y jette comme un papillon de nuit dans les phares d'une auto qui roule pour nulle part.
Elle regarde les gens assis devant elle, mais elle ne les écoute pas. Elle est là, mais elle est ailleurs. Elle rêve. Je le devine à son regard vaporeux, à son sourire énigmatique. Ça dure quelques secondes, ça dure une éternité. J'ignore où ses pensées se sont accrochées, mais assis dans l'obscurité de mon taxi, je regarde ce visage empli de rêves et de lumière et me mets à rêver à mon tour.
Et la lumière a changé.