De l’excentricité en art

Publié le 23 novembre 2011 par Les Lettres Françaises

De l’excentricité en art

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Sur la plage - Edouard Manet

L’exposition présentée au musée d’Orsay autour de la figure emblématique d’Oscar Wilde est superbe. Les œuvres et les objets réunis, d’Edward Burne-Jones à William Morris, de Waterhouse  à James McNeill Whistler en passant par les grands académiciens (Albert Moore, James Tissot, Alma-Tadema, Frederic Leighton), sans oublier Aubrey Beardsley, qui a illustré Salomé, de Wilde, et qui a crééla revue The Yellow Book, l’ensemble nous donne une certaine idée de la fin de l’ère victorienne (Wilde meurt en 1900 et la reine Victoria, en 1901). Elle a été conçue avec un goût sûr et beaucoup de raffinement. Le catalogue, qui pour une fois n’est pas pléthorique, est un excellent réceptacle de cet événement. Mais – car il y a un mais – les chevilles ouvrières de cette reconstitution historique ont oublié tout un aspect de l’art anglais de l’époque, profondément influencé par la France, surtout par Manet et ensuite par les impressionnistes et puis Gauguin, Toulouse-Lautrec. Walter Sickert est sans doute l’un des meilleurs représentants dans cette veine. Et si l’on regarde de  plus près les écrits sur l’art d’Oscar Wilde réunis dans Intentions, force est de constater qu’il ne pense pas autant aux préraphaélites qu’Henry James, mais à Turner (il marque son respect pour John Ruskin) et aux impressionnistes pour le présent : « Je les aime bien. Leur tonalité blanche et ces variations lilas ont fait date dans l’histoire de la couleur. Bien que l’instant ne fasse pas l’homme, l’instant fait certainement l’impressionnisme, et en l’honneur de l’instant en art, et de ce “mouvement de l’instant”, pour reprendre l’expression de Rossetti, que ne pourrait-on dire ? Ils sont également évocateurs. »

Des artistes tels que John Singer Sargent, Philip Wilson Steer, George Clausen et Stanhope Forbes,  réunis depuis 1885 au sein du New English Art Club, auraient  eu leur place dans cette vision rétrospective. Et puis, on aurait aimé que les théories paradoxales de l’auteur du Portrait de  Dorian Gray soient mises en valeur. Elles étaient excentriques  en diable et affirmaient que la critique était plus importante que l’art, que sa critique du siècle de Périclès n’aurait pas connu un tel épanouissement dans la peinture et la sculpture. C’est l’esprit  critique qui définit l’esprit des œuvres – ce serait donc pour lui  un art en soi, l’art suprême : « La critique est, en fait, tout à la  fois créatrice et indépendante », ne serait-ce que par le simple fait que c’est elle qui fait vivre les œuvres d’autrefois, comme l’a fait Walter Pater dans ses Vies imaginaires.

Gérard Georges Lemaire

« Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde »,  musée d’Orsay, jusqu’au 15 janvier 2012.  Catalogue : Musée d’Orsay/Skira Flammarion, 224 pages, 25 euros.
 
N° 87 – Novembre 2011