La Ligue arabe et la Syrie: l’illusion des sanctions

Publié le 28 novembre 2011 par Jcharmelot

La décision de la Ligue arabe de prendre des sanctions financières et économiques contre la Syrie illustre les limites de l’action internationale face à la crise dans ce pays, et la prudence avec laquelle les principaux protagonistes au Moyen-Orient ont décidé de traiter la révolte contre le régime de Bachar al Assad — qui se révèle beaucoup plus résistant que les augures ne l’avaient prédit.

Cette double retenue s’explique par l’enjeu que représente la Syrie et que l’éditorialiste du New York Times, Thomas Friedman, a parfaitement résumé le lundi 28 novembre: « Il est impossible d’exagérer le danger que représenterait pour tout le Moyen-Orient la dérive de la Syrie vers une guerre civile », écrit-il. Et ce fin analyste de la situation au Moyen-Orient se fait ainsi l’écho des inquiétudes des Etats-Unis et d’Israël face à une crise qui leur convient pour le moment, mais qui ne doit pas conduire à une atomisation du pays en cantons armés, confessionnels ou ethniques.

La presse a présenté les sanctions économiques prises, ou promises, contre la Syrie comme « sans précédent ». Cette approche a tout lieu de satisfaire Damas, et la télévision d’état a repris à son compte cette présentation. Elle permet au régime syrien de faire porter la responsabilité des difficultés économiques, présentes et à venir, sur les mesures prises contre lui. Et les pays arabes qui en sont les initiateurs, notamment le Qatar –meneur du jeu contre Damas– sont ravis de cette caractérisation qui donne l’impression que la Ligue joue un rôle déterminant.

L’histoire récente nous apprend toutefois qu’il en est autrement: en 1979, la Ligue arabe a décidé d’exclure de ses rangs l’Egypte, pour punir Anouar el Sadate d’avoir signé une paix séparée avec Israël. Les principaux membres de la Ligue ont coupé leurs relations diplomatiques avec Le Caire, et les pays les plus riches ont interrompu leur assistance financière à la nation qui avait porté pendant longtemps le drapeau du pan-arabisme et de la lutte contre Israël. Par la suite, le boycott arabe de l’Egypte s’est émoussé et, dans la pratique, les échanges financiers et commerciaux ont continué.

De même, au lendemain de l’invasion du Koweit par l’Irak, certains membres de la Ligue ont voté pour soutenir l’embargo très strict imposé par l’ONU pour punir Saddam Hussein. Des voisins de l’Irak, comme la Jordanie, ou des pays plus lointains, comme le Yémen, ne se sont pas associés à ces sanctions. Elles auront finalement peu d’effet sur le régime irakien, et il faudra attendre l’intervention militaire internationale de 1991 pour chasser l’armée irakienne du Koweit et l’invasion américaine de 2003 pour que le maître de Bagdad soit évincé.

Les leçons tirées de ces deux précédents sont connues des experts de la Ligue arabe, même si elles sont parfois oubliées par les journalistes. La première est qu’il est impossible d’appliquer strictement des sanctions contre un pays arabe, lorsqu’il n’y a pas unanimité dans la région. Déjà, au moins trois pays ont annoncé qu’ils se refusaient –ou qu’ils auraient des difficultés– à mettre en oeuvre ces sanctions: l’Irak, et le Liban, les deux principaux partenaires commerciaux de Damas, et la Jordanie, frontalière de la Syrie, et qui connait les risques qu’il y a à provoquer son voisin.

La deuxième leçon est à tirer de l’expérience irakienne: les sanctions internationales, mises en oeuvre avec plus ou moins de sérieux par les différents partenaires arabes de Bagdad, ont fait souffrir la population civile, plus qu’elles n’ont mis en danger le régime et les cercles du pouvoir. Le bilan humain des sanctions a été tel qu’il pourra difficilement être répété en Syrie, si les membres de la Ligue veulent défendre la légitimité de leur action.

Le recours aux sanctions dans les relations internationales est un aveu de faiblesse. Elles apparaissent comme un substitut à l’usage de la force pour contraindre un régime à changer d’attitude ou, à terme, pour tenter de l’éliminer. Mais l’Irak de Saddam Hussein, et l’Iran révolutionnaire, sont deux cas d’école qui montrent qu’elles sont impuissantes à garantir l’issue désirée. Elles sont souvent un prétexte à la radicalisation des pouvoirs visés, et peuvent ouvrir la voie à des aventures qui se révèlent couteuses –comme l’a amplement établi la guerre en Irak.  

New York Times