Lanaphobia

Publié le 27 novembre 2011 par Urbansoul @urbansoulmag

Elle a envahi ma timeline tout ce mois de novembre mais en réalité, Lana Del Rey est parvenue à mes oreilles il y a bien longtemps déjà et elle ne cesse de me hanter depuis. Je le confesse aujourd’hui : je pense que je souffre de lanaphobie.

Actuellement #1 du top iTunes en France et en Belgique, Lana Del Rey faisait déjà parler d’elle fin mai dans le journal anglais The Guardian alors qu’il aura fallu attendre cet été pour que la vague frappe enfin les côtes anglaises… peu après la disparition d’Amy Winehouse. L’équipe de Lana a balancé Video Games comme on dépose une poignée de terre sur un cercueil après avoir soigneusement préparé l’arrivée de la jeune artiste pendant des mois en envoyant une vingtaine de morceaux au stade de démo aux médias britanniques. Certains ont rapidement vu en elle un concept que s’arracheraient les hipsters. Il est bien vrai que l’illusion était parfaite… sauf que lorsqu’on veut réellement faire dans l’indie, on ne se vend pas à Interscope, label du géant Universal. Et c’est bien ça qui me fait peur : Lana a tous les artifices d’un gros coup marketing. Car LDR n’est en réalité que le fruit d’une série de ratés.

Prise sous son aile par le producteur David Kahne (Paul McCartney, The Strokes, No Doubt, Regina Spektor), la jeune femme de 25 ans a commencé son processus de transformation depuis un moment déjà.  En 2009, elle s’appelait encore Lizzy Grant, un nom de chanteuse country pour une artiste plutôt jazzy sous lequel elle a même sorti un premier EP Kill Kill, qui a suffisamment bien lancé la machine que pour intriguer le Huffington Post auquel elle confiait alors :

« J’écris à propos de choses que je connais et je sais comment me donner en spectacle ». Ou comment trahir ses plans en une phrase. Puis en 2010, elle enregistre un premier album Lana Del Ray. Oui, avec un A. Et cet opus pose deux mystères car non seulement il a été retiré des ventes seulement trois mois après sa sortie mais il démontre également à quel point l’image de l’Américaine peut être travaillée. Ainsi, au fil des années et des interviews, l’explication de son pseudonyme varie :

« Je voulais faire partie d’un groupe mais le label et l’équipe avec lesquels je travaillais voulaient absolument que je sois une artiste solo. Lana Del Rey est un nom qui a été choisi par une série de managers et d’avocats au cours de ces 5 dernières années. Ils voulaient un nom qui reflète mieux ma musique », déclarait-elle en juin 2010 à Repeatfanzine. Et alors que Wikipedia nous raconte que ce pseudo résulte d’une combinaison entre l’actrice des années 40 Lana Turner et la Ford Del Rey (si l’anecdote est vraie, pourquoi être passé du A au E?), Lana arrive avec une nouvelle histoire pour Vogue en octobre :

« Je voulais un nom autour duquel je pourrais sculpter ma musique. J’allais souvent à Miami à l’époque et je parlais beaucoup espagnol avec mes amis de Cuba. Lana Del Rey nous rappelait le glamour de la côte. Ça sonnait incroyablement bien ». D’autres se sont également interrogés sur sa vie dans un lotissement de caravanes dans le New Jersey alors que son père n’est autre que Rob Grant, ancien courtier en immobilier désormais très connu dans le business des noms de domaine. Elle rétorquera à Pitchfork que « [son] père est un entrepreneur et innovateur [mais] qu’être un entrepreneur ne fait pas de vous un riche magnat et qu’être un innovateur ne rime pas toujours avec succès : cela veut juste dire que vous êtes intéressant ».

Pas assez fortunée que pour vivre dans un appartement, elle trouvera quand même assez d’argent pour poursuivre son repositionnement de produit en s’offrant une petite opération de chirurgie esthétique. En 2011, elle débarque donc avec plus de lèvres, plus de cheveux et moins de blondeur en délivrant un nouveau clip, Video Games, cumulant images d’archives (pour les droits d’auteurs, on repassera quand elle se sera enrichie des ventes de son premier album en 2012 je présume) et plans personnels de Lana se mettant en scène chez elle à grands renforts de duckface. Certains vont même jusqu’à dire que son regard fuyant la caméra serait en fait rivé sur un moniteur de contrôle, pour mieux gérer son image d’icône 2.0. Encore une fois, nouvelle anomalie : quand Lana aime dire qu’elle se sent très inspirée par le cinéma à gauche et à droite, deux ans plus tôt, elle expliquait au Huffington Post que ces montages de clichés d’une vieille Amérique lui avaient été en quelque sorte soufflés par son chéri :

« J’avais un petit ami qui évoquait souvent les raisons pour lesquelles il aimait les drapeaux, le rock’n’roll et l’Amérique. Je ne savais pas grand-chose à ce propos mais je l’aimais et je voulais être comme lui ».  Où est donc l’authenticité chez cette artiste qui semble s’être tellement penchée sur la confection de sa nouvelle image qu’elle avait déjà posé des mots sur tout avant-même que les journalistes ne cherchent à la décrire ? Plus besoin de se demander si elle fait du jazz, de la pop ou de la soul : Lana se défend de faire du « Hollywood sadcore » avec des chansons qu’elle qualifie elle-même de « sombres et effrayantes » en révélant des influences diamétralement opposées telles qu’Elvis, Eminem, Frank Sinatra et Diamanda Galás. Plus besoin non plus de la comparer car, là encore, elle le fait pour nous en se revendiquant être une « gangster Nancy Sinatra ». Quant à son look, mélange de bling-bling et vintage, elle le décrit comme étant « ghetto monégasque » mais troque étrangement ses chaînes et autres bijoux clinquants pour des petites robes blanches à la Brigitte Bardot lors de ses passages à la télé française où elle se produit avec une attendrissante maladresse, tant vocalement que physiquement.

Car malgré des années de chant (elle a débuté en chorale avant d’écumer les petites scènes de bars à 18 ans), elle semble complètement mal à l’aise sur scène, vacillant d’une jambe à l’autre tel Bambi faisant ses premiers pas sur la glace tandis que ses yeux de biche lorgnent le sol. Une série de tics qu’elle s’applique à répéter à chaque performance, fil du micro par-dessus l’épaule et moue boudeuse alors qu’elle avoue elle-même que sous l’apparence sonore dramatique de Video Games, son morceau n’a rien de triste…

Beaucoup plus rythmée et coquine, sa chanson Kinda Outta Luck n’aura d’ailleurs pas provoqué le même engouement qu’un Blue Jeans ou Born to Die (son prochain single dont le clip a été réalisé par le Français Yoann Lemoine).  Intéressant car le titre ne correspond, selon moi, absolument pas à l’image qu’elle a véhiculée jusqu’à présent. Une image dont je me demande si Lana se lasse ou se joue dans ces vidéos faussement live qui nous la présentent dépourvue de sa marque de fabrique, ses lèvres ayant été amincies au maquillage.

Fin janvier 2012, Lana Del Rey arrivera dans les bacs avec son second (mais est-ce que le premier compte vraiment ?) album et j’en frémis d’avance. Parce qu’elle vampirise tout le monde avec sa nostalgie. Et qu’elle me paraît tellement superficielle et paradoxale que je crains qu’elle ne soit finalement la première à se vider de son sang. Après tout, un produit est si vite remplacé par un autre…