Astérix, l’irréductible village gaulois et le Québec

Publié le 01 mars 2008 par Roman Bernard
Cet article sera publié lundi prochain dans La Rotonde, le journal francophone de l'Université d'Ottawa.
Faut-il être francophone pour comprendre les aventures d’Astérix le Gaulois ? Le succès mondial des albums mettant en scène le guerrier aux moustaches jaunes, consacré l’an dernier par son choix comme ambassadeur de la Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU, tendrait au contraire à prouver son universalité.
Les albums ont été traduits dans plus d’une centaine de langues, nationales, régionales, ou universelles, comme l’esperanto ou le volapük, et sont diffusés dans le monde entier.
Pourtant, le choix de l’ONU avait été contesté à l’époque, Astérix ayant été jugé trop Gaulois, justement. Trop Gaulois, donc trop Français. Ce reproche n’était pas dénué de justesse.
Pour comprendre l’humour et le sens caché de la saga scénarisée par Goscinny et dessinée par Uderzo, il semble qu’il faille bien connaître la France, son histoire, sa langue et sa culture, ce qui est le cas – en principe – des Français, et l’est, par extension, des francophones de Belgique, de Suisse, du Maghreb, d’Afrique noire et du Canada, qui ont tous reçu, pour leur bonheur ou non, la culture française par les livres, les films, les chansons.
Astérix, la Gaule sous de Gaulle
Si de Gaule il est question dans les aventures d’Astérix et Obélix, c’est plus de celle du général De Gaulle – hasard des sonorités -, sous la présidence duquel elles ont commencé (1959, un an après le retour de l’homme du 18 juin au pouvoir), que de la Gaule du temps de la conquête romaine, dont on ne retient aujourd’hui que la figure quasi-légendaire de Vercingétorix et sa tragique défaite à Alésia contre les légions romaines de Jules César.
Les écrits de ce dernier constituent d’ailleurs l’un des rares témoignages historiques de première main de ce qu’était la Gaule avant sa romanisation. On ne sait pas grand-chose des Gaulois, et si la France, du temps de la Troisième République, enseignait, jusque dans ses lointaines colonies, que les ancêtres des Français étaient les Gaulois, c’était vraisemblablement moins par attachement à cette civilisation disparue que pour minimiser les apports des conquêtes romaine et franque, dont les effets bénéfiques sont pourtant incontestables.
Comment être vraiment attaché, du reste, à une culture qui autorisait le sacrifice humain par les druides, sans doute moins sympathiques que ne l’est le vénérable Panoramix ? À vrai dire, Goscinny ne parle, dans les albums d’Astérix, que de la France. Rectification : il parle aussi des pays voisins, mais toujours vus au prisme des préjugés français.
Ainsi des Goths, coiffés de « casques à pointe » comme les soldats allemands lors de la Première Guerre mondiale. Des Bretons, chez lesquels quatre bardes aux cheveux longs font fureur, dans un album publié en 1966, à l’apogée des Beatles. Des Helvètes, spécialisés dans les banques, les coucous et le fromage. Des habitants de l’Hispanie, machos, ombrageux et querelleurs. Ou encore des Belges, séparés en deux peuples concomitants, qui lors de leurs « frugaux » banquets, se disputent la langue à table.
Même lorsque Astérix et Obélix ne parcourent que la Gaule, tous les clichés régionaux sont présents. Dans le chef-d’œuvre de la saga, Le Tour de Gaule, les Normands – alors que les peuples scandinaves, les Vikings, ne donneront leur surnom d’ « hommes du Nord » à la Normandie qu’un millénaire plus tard – disent « p’tet ben qu’oui, p’tet ben qu’non » comme le veut la tradition, et Camaracum (actuelle Cambrai) est spécialisée dans les « bêtises », fameux bonbons acidulés qui font la renommée – franco-française - de la bourgade de Cambrai.
Meilleur exemple de ces anachronismes historiques, le deuxième album, La Serpe d’Or, se déroule à Lutèce (ancêtre de Paris), présentée comme une capitale de la Gaule romaine, alors qu’elle n’est à cette époque qu’un village de pêcheurs installés sur l’actuelle Île de la Cité, les Parisii, qui donneront plus tard leur nom à ce qui deviendra au fil des siècles la capitale de la France. Sans connaître l’ambiance colorée des embouteillages sur les grands boulevards parisiens, difficile également de comprendre les apostrophes entre conducteurs de chars, dans les rues de Lutèce.
Si Astérix n’est pas le héros exclusif des francophones, il est tout du moins celui des francophiles. Alors, si Astérix est trop Gaulois, trop Français, où réside donc son universalité ?
Deux lectures opposées
Astérix, c’est aussi la résistance désespérée des petits contre les grands. Deux lectures antagonistes peuvent être faites de l’omniprésence de ce thème dans les aventures du guerrier gaulois.
La première, gaullienne et donc française, interprète la lutte du village comme la résistance obstinée de la France à toute intrusion, symbolique ou physique, de l’étranger. Dans le contexte de la République gaullienne (1958-1969), l’Empire romain, c’est bien sûr l’Amérique, contre l’hégémonie de laquelle le général De Gaulle n’a eu de cesse de s’insurger, tout en la soutenant, Guerre froide obligeant, contre l’Union soviétique. Mais plutôt que de s’identifier à Astérix, dont le succès était naissant, il se comparait plus volontiers à Tintin, dont la gloire était déjà installée, qu’il considérait d’ailleurs comme son « seul rival ».
La seconde lecture, universaliste, est celle des régionalistes ou des alter-mondialistes, qui font là aussi d’Astérix le héraut de la lutte des petits contre les grands, mais en le dépouillant – sacrilège – de son attribut gaulois, donc français.
C’est ce qui conduit certains à dépeindre José Bové en Astérix des temps modernes. La similitude s’arrête pourtant aux moustaches blondes et fournies. Astérix lutte véritablement, dans une guerre asymétrique, contre un ennemi supérieur en nombre et en force. Seule la potion magique, qui symbolise plus l’« exception française » que l’agriculture bio, permet de préserver l’intégrité de l’irréductible village gaulois. Il n’est pas, contrairement à M. Bové, l’histrion d’une nomenklatura prétendument mondialisée, qui confond résistance à l’oppression et refus de la civilisation et du progrès.
Astérix le Québécois
De façon surprenante, les Québécois, et les francophones des autres provinces canadiennes avec eux, ont réuni ces deux lectures a priori inconciliables pour défendre la cause de la Francophonie au Canada, qui s’apparente également à la défense d’un village assiégé.
Puisque Astérix symbolise la résistance de la France aux intrusions étrangères, ils défendent ce qu’ils appellent le « fait français » au Canada, tout en ayant une approche régionaliste –pour les simples autonomistes- ou alter-mondialiste de leur combat : en ouvrant le Québec au monde, et notamment aux francophones d’Europe, d’Afrique noire et du Maghreb, les souverainistes québécois espèrent distinguer, puis séparer la Belle Province du reste du Canada.
À travers cette fusion des deux lectures d’Astérix, c’est toute la modernité du souverainisme québécois qui transparaît, en réconciliant, après une séparation que l’on croyait définitive, le patriotisme et l’ouverture au monde, la nation et la gauche. Voilà une nouvelle réussite québécoise dont la France et les Français pourraient peut-être s’inspirer.
Roman Bernard