L"écriture m'a donné une enveloppe, de Dorothée Volut (par Anne Malaprade)

Par Florence Trocmé

La Cavalerie est le nom d’un village situé sur le plateau du Larzac dans lequel il semble faire bon vivre, avec ce que ce mot comporte de luttes, de revendications, de solidarités et d’espoirs. Parisiens et paysans, ouvriers et artisans, lecteurs et scripteurs, nous sommes, dans la continuité de ce qui s’est passé sur ces plateaux dans les années soixante-dix, « tous au Larzac ». Voici quelques chiffres qui cachent bien des richesses mentales et invisibles. Code postal : 12 230, Nombre d’habitants : 1 031, Superficie : 4 049 hectares, Altitude : 800 mètres, Entreprises : 21, Commerces : 21, Exploitations agricoles : 11.  
 
Comme dans un mot-croisé, il semble qu’un être remarquable, premier destinataire de cette enveloppe cadeau, existe à la rencontre de, horizontalement : habitant, verticalement : exploitation agricole. 
Dorothée Volut a écrit une lettre à André, paysan qui habite La Cavalerie, le 18 juillet 2011, alors qu’elle-même réside dans sa ferme au cours de l’été qui vient de s’achever. Cette lettre est aujourd’hui reproduite sur une affiche qui constitue, aussi, une enveloppe. Une affiche de poche en quelque sorte, à coller sur les murs de nos villes et de nos intérieurs. Le papier quadrillé, légèrement coloré, rappelle les nappes plastifiées qui recouvrent les grandes tables des cuisines en milieu rural, ou bien la page arrachée d’un carnet agrandi aux dimensions d’une affiche. Support immense mais cadré à partir duquel on peut cultiver certains jardins, réinventer la vie, et changer le monde. Nappe-tableau, papier à lettres, rectangle pragmatique, pré carré, laboratoire. On écrit à partir d’un lac, à partir d’un paysage, depuis un visage, depuis un village. On écrit pour donner et prendre des nouvelles, même lorsque l’on est au plus proche de celui qui vous appelle. On écrit, enfin, pour observer comment la surface d’une table ou la superficie d’un champ peut prendre la forme d’une vie d’aventures. Aventures dans le temps — celui des luttes paysannes des années 1970 réinventées jusqu’à aujourd’hui. Aventures dans l’espace — qui devient terre de résistance. On écrit aussi pour voyager dans le présent, et dire dans l’instant ce chant parlé qui flotte à la surface des mots et des paysages. Ainsi les mots d’André, reproduits dans la deuxième partie de la lettre, tracent des chemins au crayon, énumèrent les tâches, constellent certains travaux des heures et des jours. 
Les mots de Dorothée Volut sont rares et précis, simples et intacts. Ils nous désoccupent, et ménagent des pauses à partir desquelles incarner une logique poétique et politique du vivant. Où sommes-nous dans ce monde ? Comment sommes-nous ici ? Pourquoi sommes-nous là, et avec qui ? L’encre qui dessine quelques propositions est la pensée colorée d’une émotion. Les phrases poussent grâce à la pluie ; le feu se propage et les incendiaires ne savent plus quel nom donner à leur corps ; le mouvement des êtres et des choses invente une beauté évidente.  
Dorothée écrit à André qui a écrit à Dorothée. Dorothée et André nous écrivent. Nous leur répondrons, même en silence. Dans l’axe de leurs regards, les lignes de vie sont brillantes et politiques. Elles parlent de l’autre, de la dignité, d’une œuvre-vie, et des lois de l’hospitalité. L’écriture nous donne, en continu, de quoi projeter des possibles et construire une communauté, et ce à partir des accidents d’un sol en miroir du ciel, et des signes qui, sur une page détachée, envolée, envoyée, intensifient le courage du regard.  
 
 
[Anne Malaprade] 
 
Dorothée Volut, L’écriture m’a donné une enveloppe, Contre-mur, 2011, deux euros.   
 
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