Crise de la dette: retarder le moment de vérité

Publié le 07 décembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Nous ne sommes pas dans une crise de la zone euro mais dans une crise de la dette. Les partisans de la relance oublient que la rigueur peut stimuler l’innovation.

Par Marc Crapez

Le krach financier de 2008 n’ayant pas été purgé, la crise de la dette rebondit de plus belle en 2011. En misant sur la relance, on a transféré l’endettement du privé vers le public. On a retardé le moment de vérité. Puis on a retardé la défaillance de la Grèce pour se donner le temps de consolider l’Italie. Et multiplié les incantations sur la relance de la croissance. Peine perdue puisque les particuliers préfèrent épargner que consommer.

C’est en absorbant de temps à autre la potion amère de la rigueur qu’une économie reprend des forces en éliminant le superflu. Car nécessité fait loi. À force de refuser de passer par la case récession, on se repose sur ses lauriers. La crise ne joue pas son rôle d’aiguillon. Résultat : pas de licenciements massifs, mais une hémorragie progressive et continue de l’emploi industriel. Car peu de nouvelles technologies porteuses font leur apparition. Peu de nouveaux procédés de rationalisation des coûts sont expérimentés.

Voilà au contraire des décennies que l’on vit sur l’idée de relance, par la consommation puis par l’investissement. Les mauvaises habitudes perdurent. La démagogie est reine. Aux États-Unis, Bush avait laissé filer les déficits. En France, Chirac avait démissionné, rétorquant un jour à Francis Mer qui s’inquiétait de la dette : « Écoutez, Mer, ça fait trente ans qu’on se débrouille comme ça, alors on peut bien continuer un peu, non ? ». Après moi le déluge.

Dans une interview récente, Jean-Paul Fitoussi blâme la rigueur. Ce n’est surtout pas le moment. C’est même la dernière chose à faire. La réduction du poids de l’État est uniquement une « stratégie qui peut être mise en œuvre par beau temps ». L’inconvénient est que ce n’est jamais le moment et l’on n’entend jamais les keynésiens préconiser un allègement de l’État. Dans les années 1998-2002, la France, portée par une période faste de la conjoncture mondiale, n’a pas su être prévoyante en mettant de côté des excédents comme marges de manœuvre.

Le sorcier qui fait pleuvoir

On nous explique qu’il n’y a pas vraiment de crise de la dette. Pour les uns, les marchés font chanter les États pour leur imposer le démantèlement de l’État-providence. Pour les autres, les marchés ont décidé de spéculer contre la zone euro pour tester sa viabilité. Tous s’accordent à réclamer les pleins pouvoirs pour la Banque centrale européenne. La BCE devrait mettre fin à son indépendance et couvrir de sa garantie la dette des États européens en annonçant qu’elle est prête à la racheter. Cela rétablirait l’abondance de liquidités en créant un choc de confiance remédiant aux appréhensions.

Revoilà le sorcier qui fait pleuvoir. Comme si les marchés attendaient un geste magique qui les tranquillise comme par enchantement. Comme s’il s’agissait de faire un effort ou d’être plus ambitieux. Comme s’il suffisait de surmonter un mauvais-vouloir ou de lutter contre l’avarice. L’Allemagne n’aurait rien compris à l’économie, aveuglée par des velléités hégémoniques et des résistances culturelles issues des traumatismes inflationnistes de son passé.

En réalité, les marchés n’attendent pas une résolution de l’Union Européenne à consolider la zone euro en affichant un engagement illimité de la BCE. Ils guettent une détermination de ses États membres à lutter contre leur addiction à la dette et à une logique de passagers clandestins. C’est une question de soutenabilité de ses engagements, de capacité à les honorer, pas seulement sur le papier mais adossés à l’univers économique réel. Inutile de chercher à transférer à d’autres le Mistigri de la dette, pour duper les marchés par prestidigitation.

En l’état, la BCE jouerait, le cas échéant, un rôle d’acheteur en dernier ressort. Mais officiellement mieux vaut limiter ses interventions à des soutiens de liquidité et non à la prise en charge du risque ultime de crédit. L’engagement illimité de la BCE serait une source de déresponsabilisation des États. Dexia a sauté sur les bombes à retardement de 20 milliards de dette grecque et de 25 milliards de subprimes. Le restant des subprimes du dernier krach ne s’était pas évanoui dans la nature.